Divins !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Sur la scène de La Scala jusqu’au 5 janvier, François Morel rend hommage à Raymond Devos. Un spectacle musical où l’on voit, avec un plaisir inégalé, le comédien s’emparer des sketches de son maître.
Il en fallait du cran pour oser s’affronter à un tel monstre sacré ! François Morel a su relever le défi : plutôt que de l’imiter, il interprète une sélection de textes de l’humoriste disparu en 2006. Créé en mai 2018 à La Coursive – scène nationale de La Rochelle, J’ai des doutes a déjà remporté un vif succès, notamment au Théâtre du Rond-Point, et lui a valu le Molière du meilleur comédien dans un spectacle de théâtre public en 2019, ainsi que le Prix Humour de la SACD. Cette reprise ravit son public, mais aussi les nostalgiques de Devos. Pas de doute : on n’est pas prêt d’oublier, ainsi réunis, ces deux artistes si plein d’esprit.
En début de représentation, coup de tonnerre et fumigènes : Morel apparaît en Saint Pierre ! Dieu a convoqué Devos pour le divertir. Ce face-à-face situe, d’emblée mais non sans dérision, ces créateurs au sommet de leur art. Empruntant à Devos le titre de l’un de ses fameux sketches, J’ai des doutes évoque la folie de l’existence et l’incommunicabilité. François Morel file la métaphore céleste : « Ça doit être une drôle de vie qu’être ange, dirait Devos, alors qu’un ange passe ». Et de s’exclamer : « Devos existe, je l’ai rencontré ».
L’hommage est sincère. Brillant même. Jeux de mots et jeux de scène s’enchaînent sans temps mort. D’ailleurs, le spectacle est proche du music-hall, car les sketches sont entrecoupés de nombreuses coupures musicales et de délicieuses chansons. Essentiellement composé des textes de Raymond Devos, le spectacle est ponctué de petites touches personnelles de François Morel, autant de facéties appréciées du public. Le musicien, qui donne aussi la réplique, a toute sa place. Une belle complicité, surtout que les deux interprètes jouent de plusieurs instruments.
Un spectacle drôle et émouvant
Qui d’autres que François Morel pouvait-il rendre hommage à ce génie du verbe, ce poète de l’absurde ? « J’aime sa capacité à faire rire de sa propre angoisse », résume celui-ci. L’absurde, cet ancien des Deschiens le cultive depuis toujours. En parallèle de ses récitals, il sait aussi regarder le monde « comme il ne tourne pas rond », dans ses chroniques sur France Inter. La filiation est vraiment évidente : tous les deux ont en commun l’amour de la langue et sa musicalité. D’ailleurs, quelle idée lumineuse de faire entendre, non seulement les mots, mais aussi la voix de Devos grâce à quelques archives judicieusement amenées !
« On en fait trop ! On oublie tout », conclut l’interprète en fin de spectacle. Oui, François Morel en fait des tonnes, comme Devos, à la bonhommie expressive, à la générosité débordante. Il arrive toutefois à nous toucher, comme tous les bons clowns. Et comme son maître, d’une si grande délicatesse derrière la loufoquerie. Devos ne dansait-il pas avec les mots ?
De ces sketches, se dégage même une philosophie. Car, en pansant ses maux, Devos repensait le monde grâce à ses jeux de mots. Il voyait juste : « Il y a ceux qui courent tout le temps, au plus pressé, après les honneurs, pour la gloire, à sa perte, pour gagner du temps, donc de l’argent. Les contestataires, eux, veulent marcher, mais sont dépassés. » Son écriture est ciselée et très forte. Derrière l’apparente légèreté : la densité du propos.
Enfin, on n’oublie pas Devos. Il nous manque tellement ! Et c’est aussi la réussite de ce spectacle que de rappeler son génie. En continuant de parler de nous, encore et toujours, il est décidément intemporel. Divin, comme ce spectacle ! ¶
Léna Martinelli
J’ai des doutes, de François Morel
Textes : Raymond Devos
Avec : François Morel et Antoine Sahler, en alternance avec Romain Lemire
Musique : Antoine Sahler
Assistant à la mise en scène : Romain Lemire
Lumières : Alain Paradis
Son : Camille Urvoy
Costumes : Élisa Ingrassia
Poursuite : Madeleine Loiseau ou Valentin Morel
Conception, fabrication et mise en jeu des marionnettes : Johanna Ehlert, Matthieu Siefridt – Blick Théâtre
Direction technique : Denis Melchers
Archives sonores : INA (Radioscopie 1975)
Durée : 1 h 30
La Scala • 13, boulevard de Strasbourg • 75010 Paris
Du 5 novembre 2019 au 5 janvier 2020, du mardi au samedi à 19 heures, le dimanche à 15 heures
De 13 € à 42 €
Réservations : 01 40 03 44 30 et en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups
☛ La Vie, de François Morel, par Jean-François Picaut
☛ La Fin du monde est pour dimanche, de François Morel, par Maud Sérusclat-Natale
Une réponse
Merci beaucoup