« John Gabriel Borkman », de Henrik Ibsen, Odéon‐Théâtre de l’Europe à Paris

« John Gabriel Borkman » © Arno Declair

Esthétique sans âme

Par Maja Saraczyńska
Les Trois Coups

Pour la troisième fois déjà, Thomas Ostermeier, célèbre metteur en scène allemand, s’empare (après « Maison de poupée » et « Hedda Gabler ») de l’univers dramatique de Henrik Ibsen. De sa nouvelle création, en quête d’une perfection esthétique, émane une sobriété statique, dans laquelle le déplacement géométrique et l’arrêt sur l’image ont chassé les émotions.

John Gabriel Borkman est une de ces quatre dernières pièces d’Ibsen qui mettent en lumière la figure de l’artiste-créateur, apte à changer le monde. Le personnage éponyme est cette fois-ci un ancien directeur de banque qui, au nom d’une idée aux prétentions démiurgiques, a pu mettre en jeu toute sa vie (tant sentimentale que matérielle) et qui a tout perdu. Après la faillite de son entreprise, après avoir passé plusieurs années en prison, il se séquestre à l’étage supérieur de sa maison, se juge et s’interroge interminablement, en attente du retournement de la situation.

La pièce datant de 1896 est parfaitement adaptée au contexte contemporain. Ainsi, dans la situation du protagoniste, John Gabriel Borkman, banquier ruiné, se reflète aisément l’image de la crise économique d’aujourd’hui. Dommage que Thomas Ostermeier ait voulu en rajouter dans la modernisation, en dépouillant ainsi efficacement le drame d’Ibsen de son universalité.

Dans une sobriété glaciale, dans un espace aux murs blancs – qui veut incarner le salon où vit Gunhild, épouse de Borkman – aura lieu le premier conflit : celui entre Gunhild et sa sœur jumelle, Ella, premier amour de Borkman, et qui, touchée par une maladie incurable, reviendra pour reconquérir Erhart, son neveu et fils adoptif…

À partir de cette première rencontre – et tout au long de la représentation –, le public sera confronté à un spectacle statique, plastique plutôt que dramatique, toujours en quête d’une image. Dans une sorte d’omniprésence du texte, l’existence du comédien sur scène n’est jamais mise en jeu. Dans un flux de paroles, dans un corps mutilé et immobile, l’acteur sera réduit à la vocalité (irréprochable, certes) et à l’état debout, assis ou en marche. Certes, l’ambiance « morbide » du début de la pièce a été bien recréée, mais trop bien peut-être, car elle engendre davantage l’ennui du spectateur que son émotion.

Il n’y a que vers la fin, au moment où Borkman franchit le seuil du royaume de sa femme, que la vie sur scène s’anime légèrement. On nous donne en effet à voir la séquence piquante d’une dispute entre le père Borkman, la mère Gunhild et la mère adoptive Ella, qui veulent s’emparer chacun à leur tour du fils Erhart. Quelques rires spontanés nous échapperont d’ailleurs au moment de l’apparition du fils en question (Sebastian Schwarz), dont le personnage a été poussé (tant bien que mal) jusqu’aux limites de la caricature.

Concernant les choix dramaturgiques et scénographiques, je suis déçue et je reste sur ma faim. Car je regrette qu’aucune différence ne soit marquée sur scène entre les deux espaces opposés – celui où vit la femme de Borkman et celui qui constitue le lieu de séquestration du protagoniste principal. Les deux espaces ont en fait été récréés parallèlement, dans la tonalité d’une froideur blanche et dépouillée. Le rapport initial des espaces (bas-haut) présent dans le texte a été d’ailleurs supprimé et remplacé par une scénographie qui se veut plus impressionnante que juste. Avec un plateau tournant et quelques écrans, on accède alors à un autre univers – celui de John Gabriel Borkman – noyé dans les brumes et autres effets spéciaux, situé au même niveau que le salon de Mme Borkman.

De plus, étrangement, alors qu’il est primordial dans le drame, le passage de l’intérieur à l’extérieur, symbolisé par l’évasion de Borkman de la maison et sa marche en haut d’une montagne, n’est représenté ici que par la parole des comédiens prononçant les phrases du texte. Ce morceau n’est pas figuré sur scène (aucun changement de scénographie n’est effectué), et devient donc difficilement compréhensible pour un spectateur non averti…

J’y allais pleine d’espoir, curieuse de voir quelles solutions scéniques apporterait Thomas Ostermeier à ce drame audacieux. J’en ressors dépitée, car malheureusement sa mise en scène n’apporte rien au texte. Le plateau semble résister à cette vision intellectuelle des choses et à cette démarche statique et glacée. 

Maja Saraczyńska


John Gabriel Borkman, de Henrik Ibsen

Mise en scène : Thomas Ostermeier

Avec : Josef Bierbichler, Kirsten Dene, Sebastian Schwarz, Angela Winkler, Cathlen Gawlich, Felix Römer Wilhelm, Elzemarieke De Vos

Scénographie : Jan Pappelbaum

Costumes : Nina Wetzel

Musique : Nils Ostendorf

Dramaturgie : Marius von Mayenburg

Lumières : Erich Schneider

Photo : © Arno Declair

Odéon-Théâtre de l’Europe • place de l’Odéon • 75006 Paris

Métro : Odéon

R.E.R. B : Luxembourg

Location : 01 44 85 40 40

Du 2 au 11 avril 2009 ; du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures (relâche le lundi)

Durée : 1 h 50

30 € | 22 € | 12 € | 7 €| 7,5 €

Tournée :

  • Munich (Allemagne) – Münchner Kammerspiele : 20 et 21 mai 2009
  • Recklinghausen (Allemagne) – Ruhrfestspiele Recklinghausen : du 4 au 6 juin 2009
  • Tampere (Finlande) – TTT Theatre de Tampere : 3 et 4 août 2009
  • Modène (Italie) – Emilia Romagno Teatro Fondazione : 9 et 10 octobre 2009

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