Les plus belles noces sont celles que l’on rêve
Par Sarah Bussy
Les Trois Coups
Mylène Bonnet, pour sa première mise en scène, a choisi de créer à la Cartoucherie de Vincennes « Journée de noces chez les Cromagnon ». Cette pièce de jeunesse de Wajdi Mouawad préfigure déjà les grands thèmes chers à l’auteur. De même, elle annonce sa grande poésie dans une réalité toujours plus dure et plus crue. C’est une très belle réussite qui nous transporte, au Liban bien sûr, mais aussi ailleurs… dans un monde intérieur de lutte, de douleur et de rêve.
Au commencement, il y a la mère, Nazha, qui tente désespérément de nettoyer une salade et de trouver les ingrédients nécessaires à la préparation du repas de noces de sa fille, Nelly. Elle est aidée par son fils cadet, Neel. Puis arrivent Souhayla, la voisine, et Néyif, le père, ensanglanté par le mouton qu’il est en train d’égorger. Et c’est l’histoire d’une famille qui, sous le bruit des bombes, va tout mettre en œuvre pour protéger Nelly d’une réalité qu’elle n’accepte pas et la marier au fiancé chimérique qu’elle attend, du fond de sa chambre. Cette Nelly, Belle au bois dormant des temps modernes, qui, entre deux sommeils profonds que lui impose sa narcolepsie, évoque un passé florissant qui n’est plus, ou un avenir qui ne sera pas.
« Comment quelque chose de si triste peut‑il être si drôle ? »
Nelly est le personnage épique de la pièce, qui finalement prendra son envol, seule, pour un destin dont on ne sait trop s’il est réel ou pas. Elle est l’élément de rêve et d’innocence dans un monde brutal. De fait, elle ponctue la pièce de ses moments d’éveil lyriques, quasi prophétiques, tel un oracle qui n’intervient qu’à travers des jeux d’ombre et garde tout son mystère. Le contraste avec les explosions familiales qui l’entourent, les engueulades triviales de ses parents, n’en est que plus mordant. Wajdi Mouawad manifeste ici son humour habituel, ses répliques acerbes et crues, teintées de cynisme. Et, de la même manière que Nelly affirmera au sujet de la guerre qu’elle observe de sa fenêtre « comment quelque chose de si horrible peut‑il être si beau ? », on pourrait dire ici : « Comment quelque chose de si triste peut-il être si drôle ? ».
Mais au-delà de la résistance d’une jeune femme à accepter une situation de guerre, c’est avant tout une histoire de famille et de maternité. Une famille soudée mais atomisée, dont la mère, vraie matrice originelle, est l’élément unificateur. Tous résistent et finissent par se laisser aller aux délires de Nelly, sans y croire mais avec force et amour, quitte à en devenir eux-mêmes fous. Sans en faire une pièce psychologique, Wajdi Mouawad dresse en finesse le portrait torturé de six membres d’une famille. Car, finalement, tous souffrent plus de leurs démons intérieurs, de leurs luttes continuelles, de leurs désaccords et de leur amour que de la guerre elle-même. Et c’est ce qui est beau au-delà de tout.
Un mélange exquis de cruauté, de brutalité, d’humour et de poésie, s’opère sous nos yeux ébahis, parfaitement assaisonné par le fantastique travail, l’énergie et l’émotion de très beaux acteurs. Mais également par une scénographie simple et belle : un mur jauni et cassé, duquel dépassent antenne et fils électriques, des draps et des bibelots pendus un peu partout comme des traces de la vie qui continue, une table sur laquelle exploseront les drames familiaux et sous laquelle on se cache quand explosent les bombes. Un décor qui évoque la guerre sans en faire trop. Qui, comme tout le reste de cette funèbre Journée de noces chez les Cromagnon, est dans un entre-deux parfait. Un moment merveilleux dont on ressort profondément touché, avec un seul mot à la bouche : bravo ! ¶
Sarah Bussy
Journée de noces chez les Cromagnon, de Wajdi Mouawad
Cie La Kestakaboche • 2, rue du Docteur‑Lequeux • 92330 Sceaux
Mise en scène : Mylène Bonnet
Collaboration artistique : Cécile Lehn
Avec : Patrick Paroux, Chantal Trichet, Céline Chéenne, Xavier Clion, Philippe Canales, Sabrina Baldassarra, Cyril Hamès
Costumes : Josy Lopez
Décors : Lisa Ternon
Lumières : Pascal Sautelet
Musique et son : Stéphanie Gibert
Régie générale : Cyril Hamès
Photo : © D.R.
Théâtre de la Tempête • la Cartoucherie, route du Champ‑de‑Manœuvre • 75012 Paris
Réservations : 01 43 28 36 36
Du 21 janvier au 21 février 2010, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 16 h 30, relâche le mercredi 27 janvier 2010
Durée : 1 h 40
18 € | 14 € | 10 €