Cerf Noël
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
La magie de Noël, qui y croit encore ? Les grands enfants du collectif Le Grand Cerf Bleu font mine de. Avec humour, ils rassemblent sur un plateau les souvenirs de ces fêtes obligées qui ravivent immanquablement, pour un soir de Réveillon, tous les démêlés de famille.
La famille n’est pas vraiment un cadeau. Chaque année, le même enseignement à date fixe : Noël. Avec conversations obligées, dîner acrobatique et frénésie générale, la grande fête des enfants se solde facilement par des règlements de compte. Le collectif Le Grand Cerf Bleu, lauréat du prix du public au Festival Impatience pour son adaptation de la Mouette (Non, c’est pas ça ! Treplev variation), a vu dans le Réveillon une aubaine de théâtre. Ils font de cette réunion de famille un modèle de microsociété, où le sentiment fraternel le dispute aux intérêts personnels, l’amour à la haine.
Tout commence par un thé chaud et des papillotes, offerts sur le plateau. La petite famille attend que tout le monde soit là, en salle et sur scène. Car il manque Jean-Baptiste, l’un des fils, dont l’avion a sans doute été retardé. Mais « jusqu’ici tout va bien », lancé comme un mantra, avec la crainte que rien ne dure. Car quand Jean-Baptiste (interprété par Jean-Baptiste Tur) débarque enfin, il est accompagné d’une brune que tous jugent un peu vulgaire (Juliette Prier).
Chacun va de son commentaire, à commencer par Lolo, la sœur cadette (Laureline Le Bris-Cep), manifestement malheureuse. Gabriel (Gabriel Tur, remarqué cet été dans Je m’en vais mais l’État demeure), le troisième de la fratrie, plus en réserve, n’ose annoncer à personne sa récente rupture. Lorsqu’il ne sait plus quoi dire, il joue de ses instruments. Le remarquable accompagnement musical lui revient, qu’il réalise directement sur scène. Question secret, les parents ne valent guère mieux : Serge Avédikian et l’excellente Coco Felgeirolles forment un duo sympathique et fêlé. Puis surgit l’événement : un étranger toque à la porte.
Dinde et vieilles lunes
Dinde qui crame, course après le sapin, canapés avalés presto, rengaines et vieilles lunes, tous les clichés passent à la moulinette du collectif. Ses membres ont réuni sur scène un ensemble d’objets transitionnels, astucieusement mis en lumière par Xavier Duthu. Ils ravivent des souvenirs : parmi les plus emblématiques, ces vieux pulls aussi laids que chauds, commodes à la campagne, de hauts panneaux de lambris, en vogue autrefois et ces portes en bois aux vitres fumées, vues chez nos grand-mères. Derrière celles-ci, la cuisine, où disparaissent régulièrement l’un ou l’autre. Le secret se niche derrière ces portes, au loin.
À mi-parcours, tout bascule. Les acteurs font pivoter ces pans de murs et dévoilent l’envers du décor, littéralement. Ils rejouent alors le spectacle du point de vue inversé, depuis cette cuisine initialement hors-champ. C’est Festen au pied du sapin, avec les boules mais sans l’énorme drame, sans procès et plus en retenue.
Imperfection dynamique
Le spectacle gagnerait peut-être à être resserré, dans le temps mais aussi autour d’un sujet principal. Car au moins trois lignes de force se croisent, quitte à se brouiller : la constitution de la famille autour de secrets, la mise à l’épreuve de nos convictions morales, avec le surgissement de l’étranger, et l’enfance qui modèle chaque adulte. La qualité des spectacles du Grand Cerf Bleu tient certes à leur imperfection dynamique, à un inachèvement heureux qui rend chaque représentation perfectible. Mais le collectif tient là un sujet si massif, avec l’élaboration de Noël comme lieu mythique de la réconciliation familiale et mise en scène du consensus, qu’il pourrait l’embrasser plus franchement, quitte à élaguer les pistes connexes pour donner à l’ensemble plus d’unité.
Laureline Le Bris-Cep, Gabriel Tur et Jean-Baptiste Tur ne sont pas à leur coup d’essai. À La Pop, sur une péniche amarrée au bassin de la Villette, à Paris, ils se sont récemment attelés, dans le cadre d’un cycle, à la relecture d’un autre mythe, Diane et Actéon d’Ovide, avec le même enthousiasme persifleur. Jusqu’ici tout va bien ! ¶
Cédric Enjalbert
Jusqu’ici tout va bien, du collectif Le Grand Cerf Bleu
Écriture, conception et mise en scène : Laureline Le Bris-Cep, Gabriel Tur et Jean-Baptiste Tur
Avec : Serge Avédikian, Coco Felgeirolles, Adrien Guiraud, Laureline Le Bris-Cep, Martine Pascal, Juliette Prier, Gabriel Tur et Jean-Baptiste Tur
Création lumière et régie générale : Xavier Duthu
Création son : Fabien Croguennec et Gabriel Tur
Scénographie : Jean-Baptiste Née
La Manufacture – Centre dramatique national de Nancy-Lorraine • 10, rue Baron Louis • 54000 Nancy
Réservations : 03 83 37 42 42 / location@theatre-manufacture.fr
Du 6 au 10 novembre 2018 à 20 heures
De 9 € à 22 €
Durée : 2 h 10
En tournée :
- 15, 16, 17 novembre 2018 – Théâtre de Lorient, Centre dramatique national (56)
- 23 et 24 novembre 2018 – Hérault Culture, SortieOuest, Béziers (34)
- 28 novembre 2018 – Les 3T Théâtres de Châtellerault, scène conventionnée (86)
- 4 décembre 2018 – Théâtre Paul Éluard, scène conventionnée de Choisy le Roi (94)
- 6 et 7 décembre 2018 – Théâtre de Vanves, scène conventionnée (92)
- 11 décembre 2018 – Théâtre de Chelles (77)
- 18 au 22 décembre – Le Centquatre, Paris (75)
- 5 avril 2019 – « Grand Cerf Bleu Week » L’Eclat, Pont-Audemer (27)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Je m’en vais mais l’État demeure, de Hugues Duchêne, par Cédric Enjalbert
☛ Le Dernier jour du jeûne et L’Envol des cigognes, de Simon Abkarian, par Olivier Pansiéri