« K. », cie Théâtre à Cru, Le 11, « Le Processus », Catherine Verlaguet, Théâtre du Train bleu, Festival Off Avignon 2023

Le-processus-Catherine-Verlaguet-Johanny-Bert © christophe-raynaud-de-lage

Conter l’ineffable sur une scène

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Alexis Armengol poursuit son travail sur la différence avec « K.» qui aborde l’autisme. Faisant partager la longue patience des soignants, la pièce multiplie les pistes pour nous situer aux côtés du personnage, hors du langage, sans percer vraiment son mystère. Quant à Catherine Verlaguet, elle a écrit Le Processus, une courte pièce dont Johanny Bert nous livre une mise en scène fine et sensible. Pour un sujet si délicat et si intime que l’avortement, il adopte une forme spécifique qui atteste à la fois de sa capacité à renouveler ses esthétiques et à écouter le texte qu’il a choisi de monter.

K. ou l’insondable mystère

K. désigne Khadiravan, un enfant qui semble ignorer le monde, le vomir. Il a aussi des crises de violence. C’est un enfant que l’on dit autiste. On dit d’ailleurs beaucoup sur K. Mais comment parler de lui, alors qu’on n’en sait rien ? Comment échapper au discours de peur, de rejet ? C’est peut-être impossible. Alexis Armengol choisit d’éviter les raccourcis en embrassant dix ans de thérapie. Nous partageons plus précisément le point de vue d’un soignant, Michaël et de son équipe pluridisciplinaire : Massis, le chanteur, et Maï, la dessinatrice.

« K. », d’Alexis Armengol © Simon Gosselin

Ce choix permet au spectacle de prendre des voies différentes : celles des sens. Laurent Seron-Keller, toujours aussi vibrant dans son jeu, manipule la terre, joue avec des balles, des objets. Dans le rôle de Massis, Romain Tirakian donne voix aux cris de K. qui se font parfois chants. Et puis il y a le dessin, conçu et projeté en direct de Maï, incarnée par Shih Han Shaw. Ce dernier permet de donner une image universelle, stylisée de K, sans verser dans le réalisme, le documentaire. Le spectacle fourmille d’idées.

Le mur du silence

Mais on a l’impression que, comme Michaël s’épuise dans un foisonnement du langage pour compenser le silence de K., la multitude de médias traduit l’impuissance à saisir l’autisme. Combien d’années pour obtenir de K. un contour, un mot, trois lettres ? Si le spectacle affiche un optimisme résolu et admirable, le spectateur peut se sentir, lui découragé, et repu de mots. Même servi par la prestation d’un bon acteur et par la mise en scène nourrie d’Alexis Armengol, le théâtre semble ainsi achopper sur le mystère de K.

Le Processus : raconte-moi tout bas ce que je n’oserai jamais te demander sur l’avortement

2022, la Cour Suprême revient sur l’arrêt Roe qui permettait aux Américaines d’avorter. Déflagration. En définitive, ce qui semblait acquis apparaît si fragile. Mais même tout près, en Hongrie par exemple, des femmes doivent quitter leur pays ou prendre de grands risques pour mettre fin à un processus qu’elles n’ont pas désiré. Et, plus quotidiennement, dans combien de familles aujourd’hui est-il délicat de parler du sujet ? Une scène du film de Blandine Lenoir Zouzou évoque bien le problème : une mère ne se voit pas parler de sexualité avec ses filles, sa mère elle-même ne lui en avait pas parlé. Elle s’offusque quand sa sœur instit lui parle des petites leçons qu’elle dispense à ce sujet. Tout de même, l’amour, celui qui trouble le corps et fait bondir le cœur dans la poitrine, ne saurait être un objet scolaire ! Alors on fait quoi ? On fait comment ?

Comme une histoire de Sempé

Pour rester aux prises avec nos émotions et nos pensées, nous voici isolés dans une bulle par un casque qui nous permet d’échapper à la communauté des spectateurs et des jugements. C’est après la représentation que viendront la discussion, les échanges. Tout terrain dans le dépouillement de sa scénographie et par sa distribution, la forme itinérante du spectacle peut être en effet jouée partout : dans des plannings familiaux, des écoles, des centres de loisirs, par exemple. Est proposée alors une discussion en bord-plateau.

« Le Processus », de Catherine Verlaguet © Christophe Raynaud de Lage

Pour l’heure, nous entendons la voix de Claire, quinze ans, au creux de notre oreille, mais aussi la musique qu’elle a écoutée ce soir où, avec son amoureux Fabien, dans l’élan de leur première fois, ils ne se sont pas protégés. Nous percevons ce que pense, ressent Claire, ce qu’elle ne refuse de dire tout haut, ce qu’elle ne peut qu’écrire après avoir hésité. Car même si la jeune fille voudrait que Fabien dise « nous » au sujet de la décision qu’ils doivent prendre, même si elle finit par révéler à sa mère qu’elle est enceinte, le choix la concerne elle. Parce que c’est son corps, parce que c’est toute sa vie qui en sera affectée.

Et le dispositif l’exprime, comme il nous dévoile les hésitations, les revirements, les peurs, les colères de Claire. Rien n’est simple, rien n’est simpliste. C’est important de le faire entendre pour se garder des condamnations lapidaires.

Éviter les clichés et la stigmatisation

Ce sens de la nuance, la belle pièce de Catherine Verlaguet, fluide et complexe, l’exprime avec ses jeux sur les paroles rapportées ou cette scène simultanée qui met en lien le début et la fin du processus de division cellulaire qui aurait donné, bien plus tard, un enfant. L’autrice parvient à éviter les clichés, la stigmatisation. On peut avorter quand on aime mais quand on n’est pas prête à accueillir un enfant à l’âge de Claire, de même qu’à celui de l’âge de sa mère.

Ce n’est pas facile, ce n’est pas évident, mais cela peut-être une nécessité. La pièce ne prend pas de surplomb, ne serine pas, mais garde de la fraîcheur et de la lumière, même dans la tristesse. Si c’était une chanson, elle serait peut-être signée Anne Sylvestre ; si c’était un dessin, il pourrait être de la main de Sempé.

La délicatesse de la proposition tient aussi à la composition sonore de Marc de Frutos qui nous fait entendre le bruissement du monde, et à la direction d’acteur de Johanny Bert, toute en finesse. Quant à Juliette Allain, qui incarne Claire, mais aussi parfois Julien, sa mère, une pharmacienne, elle est l’interprète idéale : fine, juste, précise. On croit à ses 15 ans. À 13 ou 50 ans, fille, garçon ou non genré, on devient Claire. Une réussite. 🔴

Laura Plas


K., de la cie Théâtre à cru

Site de la compagnie
Écriture, conception, mise en scène : Alexis Armengol
Avec : Laurent Seron-Keller, Shih Han Shaw, Romain Tiriakian
Voix de K : Marius Seron-Keller
Voix additionnelle : Félix Blondel et Heidi Folliet
Régie lumière et régie générale : Rémi Cassabé
Création et régie son : Quentin Dumay
Son : Julien Bouvier
Scénographie : Heidi Foliet
Durée : 1 h 10
Dès 9 ans
Le 11 • Avignon • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2023 (relâche les jeudis 13 et 20 juillet) à 9 h 50
De 9 € à 22 €
Réservations : 04 84 51 20 10 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici

Le Processus, de Catherine Verlaguet, cie Théâtre de Romette

Publié aux Éditions Le Rouergue
Site de la compagnie
Mise en scène : Johanny Bert
Avec : Juliette Allain
Avec les voix de : Delphine Léonard et Julien Leonelli, Juliette Plumecocq, Geert Van Herwijnen
Création sonore : Jean-Baptiste de Tonquédec
Durée : 50 minutes (1 h 40 en comprenant l’aller-retour en navette)
Dès 15 ans
Théâtre du Train Bleu • 40, rue Paul Saïn • 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2023 (relâche les jeudis 13 et 20 juillet) à 15 h 40 (site hors les murs, rendez-vous à 15 h 40 rue Paul Saïn pour la navette gratuite)
De 14 € à 20 €
Réservations sur place ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Sic(k), d’Alexis Armengol, par Aurore Krol
Trois spectacles sur la famille, la Manufacture et le Gilgamesh, par Laura Plas
Le Processus, de Johanny Bert, par Trina Mounier

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