L’intime en abysse
Trina Mounier
Les Trois Coups
Marc Lainé aime travailler par cycle. Ses spectacles se suivent avec aisance et suivant un fil clair. « La chambre de l’écrivain » est le 3e volet de la saga de Liliane et Paul. Après « Nos paysages mineurs », le plus délicat, et « En finir avec leur histoire », le plus épuré, voici le point d’orgue. Une vraie réussite.
Cette trilogie se pose la question de ce qui unit et de ce qui désunit Liliane, originaire de Saint-Quentin, vendeuse au BHV, et Paul, écrivain parisien qui vient d’avoir le Goncourt. Fascination amoureuse et opposition intellectuelle et sociale de deux mondes. L’amour n’y résistera pas. La séparation sera exaspérée pour elle, incomprise pour lui. C’est donc l’histoire d’une traversée de plusieurs décennies, des idéaux et de la liberté des années 70 à la réalité d’aujourd’hui avec de nouvelles manières de penser le monde et les relations amoureuses. Passionnant.
Le troisième volet se démarque par une révélation : cette histoire est largement autobiographique : Marc Lainé est le fils de Pascal Lainé, auteur de la Dentellière (Prix Goncourt 1974). La chambre de l’écrivain pourrait s’appeler La chambre des parents, épicentre du plateau.
Entrer dans ce lieu mystérieux et interdit est le rêve de tout enfant. Marc Lainé y pénètre par effraction, sous l’avatar de son personnage, Martin, metteur en scène lui aussi, nous entraînant à sa suite. Jouant sur les concepts, il nous montre ainsi que ce mystère est au cœur de l’acte de création.
© Simon Gosselin
Tout cela reste incroyablement léger, comme l’est le personnage du père, joué tout à tour par deux comédiens merveilleux : Wladislav Galard qui passe d’un épisode à l’autre tel un feu follet pour qui rien n’a d’importance, qui se joue de la gravité, toujours prêt à une pirouette, éternellement adolescent. Et Marcel Bozonnet dans le rôle de Paul plus tard – c’est-à-dire aujourd’hui –, délicieux, impeccable dans son pyjama blanc et ses cheveux en bataille, qu’on peut soupçonner de feindre les trous de mémoire quand ça l’arrange et qui s’évade avec élégance des questions embarrassantes.
D’hier à aujourd’hui, de loin en proche
L’art de Marc Lainé est incroyablement raffiné et subtil. Mais cette sophistication est invisible. Les points de vue et les époques se superposent et se croisent sans que ce soit difficile à comprendre : les images parlent d’elles-mêmes. Ce n’est pas simpliste, juste éclairant. Auteur-metteur-en-scène-scénographe, Marc Lainé vient des arts décoratifs, et non d’une école de théâtre. Son art est donc du côté de l’espace et de l’image, dans ce qu’ils peuvent nous apprendre sur ce qui sépare et ce qui rapproche.
Justement, parlons de l’utilisation du gros plan, du même personnage se regardant plus vieux, ou l’inverse. Et de la musique de Marc Segal interprétée au plateau, avec Paolo Rezze, comme pour rappeler la complicité qui unit le musicien et le metteur en scène. Pour dire aussi combien le théâtre est d’abord profondément artisanal. Sans oublier tous les comédiens, notamment Adeline Guillot, si juste dans son rôle de femme blessée mais droite.
Cette histoire, ce mélange de joie et de nostalgie, procurent de vives émotions. Du vrai théâtre.
Trina Mounier
La chambre de l’écrivain, Marc Lainé
Le texte est édité chez Actes Sud-Papiers MC93
Texte, mise en scène et scénographie : Marc Lainé
Avec : Marcel Bozonnet, Stéphane Excoffier, Vladislav Galard, Adeline Guillot, Selma Noret-Terraz, Paolo Rezze, Vincent Segal, Charles-Henri Wolff
Durée : 2 h 20
Théâtre des Célestins
Du 2 au 5 octobre 2025
Tarifs : de 8 € à 42 €
Réservations : Billetterie en ligne • Tel. : 04 72 77 40 00
Tournée :
• Les 16 et 17 octobre Malraux Scène nationale Chambéry Savoie (73)
• Du 4 au 8 novembre, Comédie de Valence CDN (26)
• Du 22 au 25 janvier 2026, MC93, Bobigny (93)
• Les 28 et 29 janvier, Comédie de Caen CDN (14)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Nos paysages mineurs, de Marc Lainé, par Trina Mounier
☛ En finir avec leur histoire, de Marc Lainé, par Trina Mounier
Photo de une : © Christophe Raynaud de Lage