« la Dernière Bande », de Samuel Beckett, Théâtre de l’Œuvre à Paris

la Dernière Bande © Dunnara Meas

Serge Merlin en sous‑emploi

Par Florent Coudeyrat
Les Trois Coups

On se faisait une joie de retrouver le granitique Serge Merlin dans l’univers de Beckett. Une attente déçue tant « la Dernière Bande » est une œuvre aride difficile à mettre en lumière.

Soixante ans d’intervalle. Ils ne sont sans doute pas nombreux ceux qui ont eu le bonheur de découvrir le jeune Serge Merlin sur les planches du Théâtre de l’Œuvre en 1952. Comme un retour aux sources, le génial interprète des textes * de Thomas Bernhard revient dans cette salle de 326 places pour défendre l’une des pièces les plus ardues du répertoire de Samuel Beckett. Si la jauge est de moitié inférieure à celle du Théâtre de la Madeleine où Merlin a officié ces deux dernières années sous la direction d’Alain Françon, elle se révèle encore trop importante pour ce seul‑en‑scène minimaliste et sans concessions de Beckett. Compte tenu du placement libre, il est donc impératif de venir en avance pour bénéficier des meilleures places au plus près de la scène, et recueillir toute la douleur, le renoncement et la mélancolie de l’acteur.

N’ayant pas bénéficié de ces conditions avantageuses, il m’a été impossible de capter les infinies nuances d’expression du visage, des jeux de mains d’un Serge Merlin très sobre. Pas un son pendant les vingt premières minutes. L’acteur interprète Krapp, qui va et vient en coulisses, mange une banane, et ferme brutalement le tiroir de sa table. Surprise : le premier son est celui de l’une des bandes magnétiques où la voix de Krapp, enregistrée trente ans auparavant, résonne dans le théâtre. Dans un jeu de miroir fascinant avec l’objet, le vieil homme écoute et se moque de lui‑même en évoquant la solitude, les renoncements et un amour irrémédiablement perdu.

Un antithéâtre minimaliste

Avec ce texte court, on retrouve les obsessions habituelles de Beckett autour de la vieillesse et de l’absurdité de l’existence, dans un antithéâtre plus radical encore, où tout artifice est prohibé. La mise en scène d’Alain Françon, très respectueuse des indications de l’auteur irlandais, renforce cette sécheresse par une neutralité discrète. Dès lors, l’action inexistante comme l’omniprésence de la voix enregistrée ne ménagent pas les spectateurs, réduits à s’en remettre aux infimes subtilités du jeu de Serge Merlin, familier d’un rôle déjà interprété à Bobigny voilà vingt‑cinq ans. L’acteur ne démérite évidemment pas, mais le rôle ne lui offre pas la possibilité d’exprimer cette rage lumineuse où il excelle tant. On le préfère grandement dans Fin de partie, un spectacle qui sera repris opportunément à l’Odéon début 2013. Sans doute une meilleure entrée en matière pour découvrir l’univers pessimiste de Beckett, en comparaison de cette Dernière Bande qui s’adresse aux seuls inconditionnels de l’auteur. 

Florent Coudeyrat

* Notamment Extinction joué à La Madeleine avec Alain Françon à la mise en scène.


la Dernière Bande, de Samuel Beckett

Traduit de l’anglais par Samuel Beckett et Pierre Leyris

Éditions de Minuit, 1959

Mise en scène : Alain Françon

Assistant à la mise en scène : Nicolas Doutey

Avec : Serge Merlin

Scénographie et costumes : Jacques Gabel

Lumières : Joël Hourbeigt

Son : Daniel Deshays

Photo : © Dunnara Meas

Théâtre de l’Œuvre • 55, rue de Clichy • 75009 Paris

Site du théâtre : http://www.theatredeloeuvre.fr

Réservations : 01 44 53 88 88

À partir du 2 octobre 2012 à 21 heures, dimanche à 16 heures, relâche le lundi

Durée : 1 h 10

30 € | 10 €

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