Un théâtre bouillonnant d’énergie
Par Aurore Krol
Les Trois Coups
« “La Estupidez” est une comédie. Sur fond d’apocalypse. » C’est ainsi que Marcial Di Fonzo Bo, le metteur en scène, résume cette pièce. L’auteur, Rafael Spregelburd, est un des plus grands représentants de la scène argentine. Il est à la fois dramaturge, metteur en scène, comédien traducteur et pédagogue. Tout cela transparaît dans une œuvre riche, ponctuée de clins d’œil cinématographiques et trop drôle pour être moraliste.
Irrésistiblement surréaliste, la Estupidez est le mélange audacieux de l’absurde, du poétique et du potentiellement improbable. C’est un théâtre d’expérimentation comme j’ai rarement eu l’occasion d’en voir. Tout y est délié, impromptu, un peu fou et aléatoire. L’écriture y est mouvante, hétérogène, elle ne semble à aucun moment se figer dans une structure rigide. Ainsi, le texte n’a pas sa fonction sacralisée, il n’est pas atteint par l’académisme.
Certes, on notera un côté un peu brouillon. Mais des situations loufoques et des comédiens en très grande forme gomment ces imprécisions. Et puis la pièce dure trois heures et quart, et l’histoire évoque 22 personnages, joués par cinq acteurs, qui ont parfois moins d’une minute pour changer de rôle et de costume. Alors, il peut bien y avoir quelque chose de décousu dans tout cela. C’est un théâtre de performance et non de perfection.
Le décor, une chambre de motel, est à la croisée de l’indigence kitsch d’une sitcom et de l’univers aliénant d’un huis clos du 7e art. Ce lieu de va-et-vient est idéal pour symboliser le passage, l’empressement, mais aussi le caractère impersonnel d’un lieu jamais habité assez longtemps pour retenir les particularismes de ses locataires.
Il y a un véritable lâcher-prise, et c’est très agréable. Les comédiens s’abandonnent à la démesure du texte, ils épousent la folie ambiante et s’investissent, s’engagent corporellement. On assiste à un théâtre bouillonnant d’énergie, qui semble se créer au fur et à mesure de la représentation. Un peu comme on improviserait. Si Rafael Spregelburd n’est quasiment jamais joué en France, c’est peut-être pour cela : pour ce théâtre de plateau qu’il développe, cet espace où le texte n’est pas sacralisé.
Sur scène, on nous parle d’un tableau moisi qui pourrait se revendre une fortune, d’une technique infaillible pour gagner au casino, de policiers inutiles et un peu niais, d’un scientifique qui peut prédire les évènements, d’une journaliste prête à tout pour détenir un scoop… Pour résumer, on évoque surtout les dérives ridicules vers lesquelles conduit l’appât du gain. C’est une peinture de l’instant actuel, de son aspect désespéré, qui force à des situations absurdes. Une peinture de personnages qui vivent comme s’ils n’avaient plus rien à perdre…
Ce talent de la fraîcheur et de la vitalité se ressent dans des scènes où rien n’est dénoncé, mais où tout est montré, exposé à notre regard. Il y a aussi, parfois, une esthétique de la solitude. Des parenthèses où certains personnages sont livrés à eux-mêmes, c’est-à‑dire au vide. Et cela m’a touchée. ¶
Aurore Krol
la Estupidez (la Connerie), de Rafael Spregelburd
Traduction : Marcial Di Fonzo Bo et Guillermo Pisani
Mise en scène : Marcial Di Fonzo Bo, Élise Vigier
Avec : Marcial Di Fonzo Bo, Marina Foïs, Pierre Maillet, Grégoire Œstermann, Karin Viard
Dramaturgie : Guillermo Pisani
Décor : Vincent Saulier
Lumière : Maryse Gautier, assistée de Bruno Marsol
Costumes : Anne Schotte
Perruques et maquillage : Cécile Kretschmar
Musique : Claire Diterzi
Photo de Martial Di Fonzo Bo : © Michel Labelle
Théâtre national de Bretagne, salle Jean‑Vilar • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes
Renseignements / réservations : 02 99 31 12 31
Du mardi 8 au vendredi 11 avril 2008
Durée : 3 h 15, avec entracte
23 € | 17 € | 12 € | 8 €