Quand Chaillot devient un parc d’attractions…
Par Jeanne C.
Les Trois Coups
Rafael Spregelburd est un célèbre auteur argentin qui a entrepris un immense travail d’écriture s’étalant sur plus de dix ans et s’inspirant de la représentation des « Sept péchés capitaux » de Jérôme Bosch (musée du Prado à Madrid). « La Estupidez » s’inscrit dans une série (encore inachevée) de sept pièces formant l’« Heptalogie de Hieronymus Bosch ». Le théâtre de Rafael Spregelburd mélange les genres et les formes, et il est un fabuleux outil de réflexion sur le monde. Du moins, il devrait l’être…
Dans la Estupidez, l’auteur nous décrit un monde chaotique dans lequel les hommes se débattent. La connerie devient ici un péché capital et l’argent le régisseur de notre société contemporaine. La pièce met en scène une vingtaine de personnages tous plus excentriques les uns que les autres. L’action se déroule dans un motel, où s’entrecroisent dans différentes chambres les histoires abracadabrantes des protagonistes.
Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier (les metteurs en scène) ont tout mis en œuvre pour nous éblouir. Cependant, le résultat est d’une vacuité déconcertante. Évidemment, du point de vue esthétique, on ne peut rien reprocher à ce spectacle. Le décor est absolument magnifique et ingénieux. À lui seul, il nous tient en haleine pendant au moins la moitié du spectacle. Ça bouge dans tous les sens, c’est beau, c’est coloré. On sent que la production a sorti l’artillerie lourde pour nous divertir. Mais cela ne suffit pas à masquer les défaillances artistiques et le manque de travail sur le texte.
En effet, malgré la présence d’une distribution célèbre et talentueuse (Marina Foïs, Karin Viard…), on n’assiste à aucun moment d’intensité théâtrale et, en outre, on ne comprend pas bien ce que ça raconte. Le texte est débité à une allure folle, et, pour certains acteurs, il est su de façon approximative, induisant ainsi un lot de maladresses et de bafouillages.
La Estupidez est un bel exemple de produit de notre société de consommation. Une chose est sûre : le but n’est pas de donner la possibilité au public de réfléchir ou d’éveiller son imaginaire, mais simplement de mettre en vitrine un prétendu « génie artistique » fondé sur une illusion. Le pari est presque réussi, on sort de la salle en n’ayant rien compris, mais on en a pris plein la vue et les oreilles pendant trois heures et quart.
Je suis déçue de constater que le théâtre public n’a pas plus de considération pour ses spectateurs. Voilà un spectacle qui nous propose en guise d’images théâtrales d’innombrables changements de décor et de costumes. Pour ce genre d’attraction, je vous conseille plutôt d’aller à Marne‑la‑Vallée… ¶
Jeanne C.
la Estupidez, de Rafael Spregelburd
Traduction : Marcial Di Fonzo Bo, Guillermo Pisani
Mise en scène : Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier
Avec : Marcial Di Fonzo Bo, Marina Foïs, Pierre Maillet, Grégoire Œstermann, Karin Viard
Dramaturgie : Guillermo Pisani
Décor : Vincent Saulier
Lumière : Maryse Gautier, assistée de Bruno Marsol
Costumes : Anne Schotte
Perruques, maquillages : Cécile Kretschmar
Musique : Claire Diterzi
Sculpture : Anne Leray, assistée de Jean‑Paul Redon
Stagiaires mise en scène : Enora Boëlle, Alexis Lameda
Entraînement à la langue des signes : Anne Lambolez
Photographies : Stephen Shore
Photo de Marcial Di Fonzo Bo : © Michel Labelle
Théâtre national de Chaillot • 1, place du Trocadéro • 75116 Paris
Réservations : 01 53 65 30 00
Du 15 mars au 4 avril 2008 à 20 heures, dimanche à 14 h 30, relâche le lundi
Durée : 3 h 15 avec entracte
27,5 € | 21 € | 12 €