« La Fuite ! », de Mikhaïl Boulgakov, Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis

« La Fuite ! » de Mikhaïl Boulgakov dans une mise en scène de Macha Makeïeff © Pascal Victor / ArtcomPresse

Makeïeff fait l’échappée belle
avec Boulgakov

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

De « la Fuite ! » signée Mikhaïl Boulgakov, une fresque épique et burlesque sur l’exil des Russes blancs, Macha Makeïeff tire un spectacle onirique. Elle rend justice à ce dramaturge avant-gardiste dont les mises en scène ont été empêchées de son vivant.

Huit songes répartis en quatre actes. La structure de la pièce est une manière pour l’auteur de « se dédouaner poétiquement et politiquement », selon Macha Makeïeff. À plusieurs reprises, les personnages eux-mêmes se demandent s’il ne s’agit pas d’un rêve éveillé. Cette fuite des Russes blancs après la guerre civile de 1918 a en effet quelque chose d’irréel. Les espaces défilent : un monastère, une gare en Crimée, Sébastopol, Constantinople, Paris… et les spectateurs voyagent imperceptiblement d’un registre ou d’un genre à l’autre.  Le burlesque, l’absurde, le fantastique, le drame et l’épopée sont convoqués au cours de la cavalcade. C’est là toute la richesse de cette pièce qui nous propose une vision plurielle et décalée des faits historiques.

L’interprétation virtuose des comédiens permet cette variété de tonalités. L’attachante galerie de personnages suivis au fil de ces huit songes expose la diversité de ceux que l’on appelle indifféremment les « Russes blancs ». Ce terme générique englobe aussi bien des soldats de l’armée blanche que des civils ou des intellectuels, et pas seulement les irréductibles tsaristes comme le voudrait une lecture réductrice de l’Histoire. Goloubkov, anagramme de Boulgakov, offre par exemple une vision pleine d’autodérision de la figure de l’intellectuel. Ce personnage veule peine à protéger la belle Séraphima dont il s’éprend lors de leur exil. On rit de ses insuffisances et, en même temps, on partage ses angoisses d’exilé. Les personnages secondaires sont souvent plus typés mais la troupe du Théâtre de La Criée convainc, quel que soit le registre, comme le prouve la performance clownesque d’Alain Fromager.

« La Fuite ! » de Mikhaïl Boulgakov dans une mise en scène de Macha Makeïeff © Pascal Victor / ArtcomPresse
« La Fuite ! » de Mikhaïl Boulgakov dans une mise en scène de Macha Makeïeff © Pascal Victor / ArtcomPresse

Récit familial tragicomique

À chaque nouveau songe, nous retrouvons des êtres toujours plus malmenés, aussi bien physiquement (typhus, alcoolisme) que psychologiquement (nostalgie, désamours). La présence d’une enfant spectatrice sur scène apparaît comme le seul point d’ancrage rassurant de cette course folle. Double de la petite Macha Makeïeff, l’enfant fait le lien entre l’histoire personnelle de la metteuse en scène et le texte de Boulgakov. La scène d’ouverture convoque ainsi l’histoire familiale de Macha Makeïeff avec beaucoup de tendresse. La petite fille se fait passeuse d’un récit familial tragicomique, et nous prend par la main pour nous immerger dans cette rêverie.

« La Fuite ! » de Mikhaïl Boulgakov dans une mise en scène de Macha Makeïeff © Pascal Victor / ArtcomPresse
« La Fuite ! » de Mikhaïl Boulgakov dans une mise en scène de Macha Makeïeff © Pascal Victor / ArtcomPresse

Enfin, la scénographie grandiose et les décors modulables font passer d’un songe à l’autre avec la fluidité propre au rêve. L’aspect déstructuré du texte de Boulgakov rend l’intrigue parfois difficile à suivre mais, grâce à une mise en scène foisonnante, on ne s’ennuie pas une minute durant les trois heures de spectacle. 

Bénédicte Fantin


La Fuite !, de Mikhaïl Boulgakov

Adaptation, mise en scène, décor et costumes : Macha Makeïeff

Avec : Pascal Rénéric, Vanessa Fonte, Vincent Winterhalter, Thomas Morris, Geoffroy Rondeau, Alain Fromager, Pierre Hancisse, Sylvain Levitte, Samuel Glaumé, Karyll Elgrichi, Émilie Pictet

Lumière : Jean Bellorini

Collaboration : Angelin Preljocaj

Conseil à la langue russe : Sophie Bénech

Création sonore : Sébastien Trouvé

Assistanat au son : Jérémie Tison

Intervention et scénographie : Clémence Bézat

Iconographie et vidéo Guillaume Cassar 

Chef de chœur : Jérémie Poirier Quinot

Professeur d’accordéon : Maxime Perrin

Durée : 3 h 20 (avec entracte)

Teaser vidéo

Photo : © Pascal Victor

Théâtre Gérard-Philipe • 59 boulevard Jules-Guesde • 93207 Saint-Denis

Du 29 novembre au 17 décembre 2017, du lundi au samedi à 20 heures, le dimanche à 15 h 30, relâche le mardi

Puis en tournée… 

De 6 € à 23 €

Réservations : 01 48 13 70 00


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Trissotin ou les Femmes savantes, de Molière, dans une mise en scène de Macha Makeïeff, par Trina Mounier

 

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