« la Mouette », d’Anton Tchekhov, Théâtre‐Studio à Alfortville

« la Mouette » © D.R.

Une « Mouette »
qui s’envole et nous emporte

Par Marie Tikova
Les Trois Coups

Au Théâtre-Studio d’Alfortville, Christian Benedetti présente sa version de « la Mouette » dans une mise en scène minimaliste et dépouillée de tout artifice. La traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan donne à la pièce toute sa dimension actuelle. C’est vivant, bouleversant et drôle, tout simplement magistral.

Dans la Mouette, il est question d’amours contrariées ou impossibles, d’éternelles discussions sur l’art, source permanente de conflits, de théâtre dans le théâtre. Mais aussi de la mouette, cet oiseau blanc qui vole au-dessus des mers ou des lacs, symbole de la liberté de l’artiste et de la vie de Nina. Nina, fille d’un riche propriétaire terrien, qui rêve de devenir actrice. Follement amoureux d’elle, le jeune Treplev lui écrit une pièce. Medvedenko, l’instituteur, en pince pour Macha, qui, elle, est amoureuse en secret de Treplev. Arkadina, actrice célèbre et mère de Treplev, est très éprise de son amant Trigorine, écrivain à la mode. Quant à Nina, elle est fascinée par Trigorine. Le malaise est partout, dans chacun des personnages, mais aussi dans les relations entre eux. Une étincelle, et tout s’enflamme.

Au quatrième acte, soit deux ans plus tard, Treplev, après une première tentative de suicide ratée, continue à écrire, et il est toujours amoureux de Nina. Nina et Trigorine ont vécu un temps ensemble à Moscou, puis Trigorine a quitté Nina pour retrouver Arkadina. Macha, toujours amoureuse de Treplev, a finalement épousé Medvedenko. Nina revient, elle rôde près du lac puis repart aussitôt. Treplev se suicide. L’histoire de cette ronde amoureuse se joue dans les silences, les non-dits, les incompréhensions.

Anton Tchekhov, grand nouvelliste et dramaturge russe, écrit la Mouette en 1896. Il y bouscule les codes de la dramaturgie de l’époque et s’inscrit déjà dans la modernité. Dans leur traduction, André Markowicz et Françoise Morvan situent la pièce ici et maintenant. Tout devient évident, le texte fait écho, son actualité résonne. C’est drôle et tragique à la fois, comme la vie.

« Ça, c’est le théâtre, comme décor : rien »

Le Théâtre-Studio est une belle salle tout en bois avec la pierre à nu. Sur le plateau, un cadre recouvert d’un drap blanc ; côté jardin, quelques chaises entassées en désordre ; de-ci de-là, des ampoules qui pendent : « Ça, c’est le théâtre, comme décor : rien » dit Treplev dans la Mouette. Christian Benedetti, metteur en scène du spectacle, semble être parti de cette phrase pour penser son espace de jeu. En tout cas, ça marche, tout comme les tracés au sol pour définir un lieu, ou bien cette mouette morte tuée d’un coup de fusil que Treplev dessine aux pieds de Nina.

Formidable idée aussi que d’avoir situé hors champ toute la scène de la partie de cartes : on entend le texte en « off » face à un plateau vide. Les gradins, sur lesquels une foule nombreuse de spectateurs a pris place, sont éclairés et le resteront durant la quasi-totalité de la pièce, tandis que pendant les changements de décor, la salle s’éteint pour éclairer la scène. C’est dans cette inversion des conventions théâtrales qu’il y a tentative par le metteur en scène « d’obliger le spectateur à changer de point de vue ». Le dépouillement de la mise en scène et cette mise à nu de la pièce donnent à cette représentation une profonde vérité.

Dirigés de main de maître, les acteurs sont tous formidables. Leur jeu nerveux et le débit rapide de la parole créent une tension. Les silences longs, figés, sont d’autant plus lourds et chargés de sens. Magnifique Nina, jouée par Anamaria Marinca, actrice au jeu dense et inattendu. Nina Renaux est bouleversante dans le rôle de Macha, qui trimbale son mal-être et se noie dans l’addiction par l’alcool et les drogues. Il faut les citer tous : Brigitte Barilley, Marie‑Laudes Emond, Christian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Xavier Legrand et Jean‑Pierre Moulin. Cette Mouette-là s’envole et nous emporte. 

Marie Tikova


la Mouette, d’Anton Tchekhov

Théâtre-Studio • 16, rue Marcelin-Berthelot • 94140 Alfortville

01 43 76 86 56

www.theatre-studio.com

Mise en scène : Christian Benedetti

Avec : Brigitte Barilley, Marie-Laudes Emond, Anamaria Marinca, Nina Renaux, Christian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Laurent Huon, Xavier Legrand, Jean‑Pierre Moulin

Assistant : Christophe Carotenuto

Lumière : Dominique Fortin

Photo : © D.R.

Production : Jérôme Impellizieri, Christian Benedetti

Diffusion : Mina de Suremain

Théâtre-Studio • 16, rue Marcelin-Berthelot • 94140 Alfortville

Réservations : 01 43 76 86 56

www.theatre-studio.com

theatre-studio@nerim.net

Du 28 février au 2 avril 2011, du mardi au vendredi à 20 h 30, samedi à 19 h 30, relâche les dimanche et lundi

17 € | 12 € | 7 €

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