« la Précaution inutile ou le Barbier de Séville », de Beaumarchais, Théâtre du Nord à Lille

« la Précaution inutile » © Éric Legrand

« Une machine efficace, et qui pourtant grince terriblement »

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

Après avoir exploré la dramaturgie contemporaine (Agota Kristof, Jean‑Luc Lagarce, Daniel Keene), la compagnie Anima motrix (littéralement « l’esprit en mouvement ») a choisi de se tourner, à la fin des années 2000, vers des textes du répertoire du xviiie siècle, aux préoccupations philosophiques et sociales marquées – mais jamais datées. En témoigne une nouvelle fois cette adaptation vibrionnante du « Barbier de Séville », nouvelle étape dans le compagnonnage de Laurent Hatat avec le Théâtre du Nord, ainsi que dans son exploration des textes des Lumières.

Avec Nathan le Sage était posée la question brûlante de la tolérance religieuse. Avec ce Barbier de Séville émerge la notion d’injustice de classe grâce au personnage de Figaro, et d’injustice sexiste avec celui de Rosine. L’histoire est simple, inspirée de l’École des femmes de Molière : un vieux et riche barbon (Bartholo, campé avec un plaisir évident par Daniel Delabesse, aux antipodes de son tolérant personnage de Nathan) compte bien épouser sa pupille, la jeune Rosine. Mais c’est sans compter sur son effronté barbier Figaro et sur le prétendant de Rosine, le comte Almaviva, si désireux d’être aimé pour lui-même qu’il préfère se faire passer pour quelqu’un d’autre…

Même si tout cela se termine bien, les paillettes et la vivacité de la comédie n’occultent pas la noirceur de l’arrière-plan. D’abord, parce que quelques années après, on célébrera le Mariage de Figaro, et qu’à cette occasion, on retrouvera le comte Almaviva, malgré tous ses beaux discours, en coureur de jupons et la confiante Rosine en femme abusée. Le tissage même du texte le rappelle, puisque Laurent Hatat entremêle à l’œuvre originale des fragments célèbres du Mariage de Figaro, qui font référence au statut inférieur que la société du xviiie réservait aux domestiques et aux femmes. Mais aussi parce que le Barbier de Séville, par le biais de cette adaptation modernisée, met en lumière avec lucidité, selon le mot de Laurent Hatat « un monde où un employé vit par procuration amour et conquête de son patron, un monde où une jeune fille se croit libre en épousant un homme qu’elle ne connaît pas. Un monde où les désirs des puissants fascinent ceux qui en dépendent. Pour finir, un monde où ceux qui ont de l’argent finissent par s’arranger entre eux ».

Pour traverser ce monde où le désir d’émancipation se heurte au préjugé de classe, c’était une idée lumineuse que de donner ce rôle de Figaro, jeune homme aux talents d’écriture contrariés par son origine sociale, au comédien d’origine maghrébine Azeddine Benamara (dont je saluais déjà la composition en sultan Saladin dans Nathan le Sage), choix qui donne à la pièce un sens nouveau, actuel et profond. Mais l’idée se serait révélée vaine sans le talent évident de l’acteur, son aisance dans le drame comme dans le burlesque, son énergie et son charme.

Le reste de la distribution est à l’avenant : on y retrouve de nombreux habitués, comme Mounya Boudiaf et Olivier Brabant, déjà dans Nathan, et Denis Eyriey, ambigu dans la peau du comte Almaviva. Dans les rôles de Rosine et du valet la Jeunesse, Victoria Quesnel et Julien Gosselin, ex-élèves de la deuxième promotion de l’É.P.S.A.D. (École professionnelle supérieure d’art dramatique), font leurs premiers pas professionnels avec assurance et enthousiasme. Ils se déploient dans un décor anonyme, d’une sobriété qui contraste avec la jeunesse, la variété et l’extravagance des comédiens. Ce dépouillement tout théâtral contribue à situer l’action dans un vague contexte historique, tempéré néanmoins par les costumes et certains accessoires – Vespa ou guitare électrique… La partition musicale, rappel et détournement de la tradition lyrique qui s’est bien vite emparée de Beaumarchais, prend une place capitale dans cet espace vide, presque uniquement animé par les présences et les voix des comédiens. Judicieusement, elle rythme l’action, la dramatise et l’approfondit, souligne les évènements et permet une découverte en douceur des personnages.

Un seul bémol, cependant : on peut regretter que la volonté générale de donner du souffle et un rythme effréné aux aventures de Figaro ne nuise parfois à la compréhension de ce qui est dit. Fréquemment, les comédiens se coupent la parole, bondissent d’une réplique à l’autre, sans nous laisser le temps d’en saisir et d’en savourer les subtilités. Dommage, pour une langue si belle… 

Sarah Elghazi

* Laurent Hatat, dans le dossier de presse de la Précaution inutile.


la Précaution inutile ou le Barbier de Séville, de Beaumarchais

Mise en scène : Laurent Hatat (artiste associé au Théâtre du Nord)

Avec : Azeddine Benamara, Mounya Boudiaf, Olivier Brabant, Daniel Delabesse, Denis Eyriey, Julien Gosselin, Victoria Quesnel

Assistanat à la mise en scène : Julien Gosselin

Conseil artistique : Laurent Caillon

Conseil dramaturgique : Jane Dziwinska

Scénographie : Antonin Bouvret

Lumière : Bernard Plançon

Costumes : Martha Romero

Univers sonore : Martin Hennart

Images : Lucie Lahoute

Maquillage : Nathalie Regior

Photo : © Éric Legrand

Un spectacle de la Cie Anima motrix, en coproduction avec le Théâtre du Nord, avec le soutien du Crédit du Nord

La représentation en audiodescription du 4 février 2010 est soutenue par la Fondation Orange

Théâtre du Nord • 4, place du Général-de-Gaulle • 59026 Lille

Réservations : 03 20 14 24 24, de 13 heures à 18 h 30 et sur www.theatredunord.fr

Création du 20 janvier au 5 février 2010 à 20 heures, sauf les jeudis à 19 heures et les dimanches à 16 heures

Durée : 1 h 40, sans entracte

23 € | 20 € | 16 € | 10 € | 7 €

En tournée :

  • Le 27 février 2010 à l’espace culturel Le Parc, Ribeauvillé
  • Le 12 mars 2010 au Théâtre de Rungis
  • Du 16 au 27 mars 2010 au Théâtre Jean-Arp, Clamart
  • Du 30 mars au 2 avril 2010 au Théâtre de la Renaissance, Oullins
  • Du 20 au 22 avril 2010 au Théâtre du Bateau-Feu, Dunkerque

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