Festival Avignon 2023, programmation

Tiago-Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage

La promesse d’une « complexité séduisante et joyeuse »

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Le nouveau directeur du festival présente une programmation foisonnante, à son image, alliant exigence, surprise et volonté sincère de démocratisation. Cette 77e édition veut s’appuyer sur la mémoire et le passé pour créer un tremplin inattendu vers l’avenir. Elle marie le local et l’international, cible la jeunesse et s’engage avec finesse dans les thèmes comme les violences faites aux femmes et l’écologie. Plus largement, le fil rouge de cette édition est l’hypersensibilité des artistes à l’égard de la vulnérabilité humaine, individuelle ou collective. Une problématique complexe, humble mais porteuse, nécessaire.

Tiago Rodrigues et ses deux co-directrices proposent une édition composée « d’ingrédients de haute qualité », pour un public enrichi (12 000 places sont ajoutées cette année). Les 33 créations et 44 productions seront également savourées sur un temps plus long que d’habitude (plusieurs jours) et le public peut s’organiser en achetant ses places dès maintenant.

La transition avec Olivier Py est douce mais quelques nouveautés sont déjà saillantes : le festival d’Avignon, polyglotte, invitera chaque année une langue. L’édition 2023 sera british (avec des spectacles anglais ou traduits, et des concerts : Tim Crouch, Trajal Harrell, Alexander Zeldin, Tim Etchells, des artistes du Royal Court Theatre, William Shakespeare, ou encore Trilogie 72 qui reprend des musiques cultes – en partenariat avec le Printemps de Bourges). Le but est de souligner la richesse et l’étonnante créativité d’un langue si souvent appauvrie par une forme de globish.

Autre fait marquant : les retrouvailles avec le lieu naturel et mythique qu’est la carrière de Boulbon (qui a vu naître le Mahabharata de Peter Brook en 1965) : Philippe Quesne (dont le spectacle La Mélancolie des dragons, en 2008, nous avait éblouie) fêtera les vingt ans de sa compagnie en créant son Jardin des délices – « épopée rétrofuturiste ».

D’autres spectacles se dérouleront en milieu naturel : Clara Hédouin proposera aux spectateurs une randonnée romanesque dès l’aube, autour de Jean Giono : l’étranger Bobi, dans Que ma joie demeure, nous aidera à cultiver autrement notre vie et notre environnement. Dans Paysages partagés, neuf artistes européens nous montreront, en fin de journée, entre plaines et forêts, sept propositions pluridisciplinaires : sculptures musicales, audio-tour chorégraphique, pique-nique détourné, pièces philosophiques.

Autres nouveautés

Des projets inédits verront aussi le jour. Démonter les remparts pour finir le pont se déroulera pendant quatre ans. Pour commencer, Gwenaël Morin, soucieux de questionner le lien entre séparation et réparation, proposera dans les rues d’Avignon une nouvelle version du Songe de Shakespeare.

Tiago Rodrigues inaugure aussi un nouvel espace de convivialité dans la cour du cloître Saint-Louis : son Café des idées réunira des écrivains, philosophes, scientifiques, journalistes pour penser le monde (il comprendra aussi la maison des professionnels et une émission de radio live animée par des jeunes). Signalons également le projet Première fois visant à bien accueillir des spectateurs qui ne se sentiraient pas légitimes dans cette ville festival : un guide contenant des ressources précieuses et la présence de médiateurs favoriseront cette hospitalité.

« L’Addition », de Tim Etchells © Nicki Hobday

L’habituel spectacle itinérant du festival (16 dates cet été) tournera désormais toute l’année. En 2023, il s’agit de la création anglaise L’Addition de Tim Etchells qui questionne les rapports entre un client et un serveur dans une performance « explosive », promet le metteur en scène et directeur artistique de Forced Entertainment.

Enfin, des pièces marquantes de l’histoire du festival seront littéralement reprises : l’éblouissante danse En Atendant d’Anne Teresa de Keersmaeker sera représentée (presque) comme en 2010 : dans le même lieu (le magnifique cloître des Célestins) et aux mêmes heures. Au gymnase du lycée Aubanel, Rébecca Chaillon reprend son spectacle Carte noire nommée désir, créé en 2021, poursuivant sa réflexion sur la construction de la femme noire. Enfin, pour notre plus grand plaisir, Tiago Rodrigues offrira By heart en clôture du festival (le 25) : dix ans après sa création, dix personnes du public de la Cour d’honneur seront invitées sur scène à proférer un sonnet de Shakespeare (dans une nouvelle traduction), proclamant ainsi leur amour du théâtre.

Le retour d’artistes qui interrogent le tragique de l’Homme

Julien Gosselin et sa compagnie, si passionnants, reviennent avec un spectacle dit « terminal », en trois parties : Extinction. Dans la cour du lycée Saint-Joseph, ils s’associent à la troupe allemande légendaire de la Volksbühne pour évoquer la fin du monde, à l’aide de textes de Thomas Berhnard et Arthur Schnitzler, de musiques et de vidéos : « Dire non n’est pas nécessairement une preuve d’abattement ; ce peut être un combat, un espoir », explique Gosselin.

On retrouvera aussi Krystian Lupa avec Les émigrants, une pièce adaptée de l’auteur allemand W.G. Sebalt, qui se demande : « Qu’est-ce qu’un homme ? » (à l’Opéra Grand Avignon).

« Black Lights », de Mathilde Monnier (répétitions) © Marc Coudrais

Le spectacle chorégraphique de Mathilde Monnier, Black Lights, s’appuie sur les textes de dix autrices internationales ayant donné lieu à la série H24. L’artiste questionne la transmission de récits tragiques et le lien entre littérature et danse.

« Il est des choses monstrueuses, mais rien n’est plus monstrueux que l’humain. », entonnera le chœur d’Antigone in the Amazon de Milo Rau. Le spectacle choisit la  princesse mythique de Thèbes pour développer une approche activiste : il évoque la lutte des Amérindiens d’Amazonie pour se demander comment changer le monde. Un dialogue prometteur.

Des retrouvailles et de nombreuses découvertes

Cette édition est surtout marquée par des découvertes puisque 75 % des artistes ne sont jamais venus. Mais on retrouvera avec bonheur le programme Vive le sujet ! Tentatives au Jardin du lycée de la vierge Saint-Joseph, l’habituelle exposition à la fondation Lambert, des projections au cinéma Utopia, les fictions de France Culture, etc. L’exposition remarquable du photographe du festival Christophe Raynaud de Lage, L’Œil présent, inaugurée l’année dernière à la maison Jean Vilar, sera enrichie de 130 images : ce parcours immersif et augmenté dans la mémoire du festival d’Avignon à travers des photos « réminiscences » nous réjouit d’avance.

L-Oeil-présent-Chistophe-renaud-de-lage
« L’Oeil présent » © Chistophe Raynaud de Lage

En tout cas, « Le festival réunira ». L’opiniâtreté de Jean Vilar vaut toujours et tout commencera dans la rue. La déambulation de trois heures G.R.O.O.V.E. de la chorégraphe Bintou Dembélé (légende du hip hop se plaisant à détourner les codes) nous aidera à traverser plusieurs frontières. Puis, le spectacle Welfare de Julie Deliquet, inspiré d’un documentaire réalisé en 1975 par Frederick Wiseman sur le système de santé américain, fera l’ouverture de la Cour d’honneur. Ce lieu magistral, hallucinatoire dans Le Moine noir l’été dernier, sera transformé en centre d’aide sociale ; les « travailleurs de notre comédie humaine » s’y mouvront. Une « pièce poème » diffusée sur Arte le 7 juillet.

On sera aussi attentif au théâtre du réel très émouvant d’Alexander Zeldin (The confessions sera joué à la FabricA), aux fantaisies de l’auteur et metteur en scène Patrick Corillon dans la superbe Chapelle des Pénitents blancs. Le récit intime et collectif Néanderthal de Geselman, s’intéressant aux origines de l’humanité, nous interpellera sûrement. De même que Baldwin et Buckley at Cambridge, de la compagnie new-yorkaise Elevator Repair Service (il restitue le dialogue qui s’est tenu à l’université en 1965 et posait la question : « le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain » ?). Ou encore le poème cosmique et intime sous les étoiles de Maud Blandel (L’œil nu, présentée à la Chartreuse, est une pièce chorégraphique s’appuyant sur des phénomènes astrophysiques et évoque des corps qui dégénèrent).

GROOVE-Christophe-Raynaud-de-Lage
«  G.R.O.O.V.E. », de Bintou Dembélé © Christophe Raynaud de Lage

On découvrira également les créations de grands artistes étrangers : Inventions du collectif chorégraphique de référence en Espagne, Mal Pelo, est un spectacle hybride basé sur des pièces de Bach. Le grand chorégraphe américain Trajal Harrell investit la Cour d’honneur et se demande « comment fonctionne la danse contemporaine qui n’appartient à personne, à toutes les cultures » dans The Romeo. Après l’archétype de l’adolescent incandescent, Tim Crouch s’intéresse à une autre figure shakespearienne, le fou du Roi Lear qui s’éclipse au milieu de la pièce : il explore l’efficacité du rire du bouffon philosophe pour interroger les possibles du théâtre après la pandémie.

Autre curiosité : Le beau monde, d’Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet et Blanche Ripoche (acteur et actrice, musicien, scénographe et plasticien), à la collection Lambert. Dans le futur, des acteurs se transmettent oralement des souvenirs de notre présent, dans un singulier rituel. Le spectacle a reçu le prix du jury du festival Impatience en 2022.

« Le Beau Monde », création collective d’Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche © Mohamed Charara

Des artistes femmes engagées, à l’honneur 

Outre l’ouverture de la Cour par le spectacle engagé de Julie Deliquet (seule femme depuis Ariane Mnouchkine), l’autrice et metteuse en scène Patricia Allio propose un espace de création pour nous faire réagir (au sujet des droits des migrants) dans Dispak Dispac’h. Marta Gornicka offre une lecture de témoignages de femmes ukrainiennes, biélorusses et polonaises, ayant fui la guerre avec leurs enfants, dans Mothers.

De nombreux spectacles défendent les droits des femmes : ceux de Mathilde Monnier, de Rebecca Chaillon, de l’artiste brésilienne Carolina Bianchi (La mariée et bonne nuit Cendrillon) de façons différentes, abordent les violences faites aux femmes. De même que Marguerite : le feu d’Emilie Monnet s’intéresse à une héroïne autochtone réduite en esclavage (Marguerite Duplessis) – soulevant à la fois les thèmes du patriarcat et de la colonisation.

Mothers © Krysiek-Krysztofiak
© Krysiek Krzystofiak

Pauline Bayle (directrice du théâtre public de Montreuil) s’inspire de l’œuvre de Virginia Woolf pour brosser le portrait d’une autrice se réfugiant dans l’amitié et l’écriture dans Écrire sa vie. Le royal Court Theatre choisit de nous donner à voir des monologues évoquant les vies ordinaires de trois femmes, dans All of it. Le performeur Matsune revisite et met à l’honneur l’œuvre de la chorégraphe française Martine Pisani dans Quelque part par ici. Enfin, on guette l’artiste allemande Suzanne Kennedy : son spectacle, Angela (a strange loop), raconte l’histoire d’une femme s’inventant une vie sur les réseaux. L’utilisation de la technologie interrogera notamment ses perceptions et états de conscience.

Tiago Rodrigues introduisait son discours en promettant des ingrédients savoureux  : les créations présentées dans cette programmation ont bel et bien de quoi aiguiser nos sens, notre imaginaire et notre pensée. Vivement juillet ! 🔴

Lorène de Bonnay


Festival d’Avignon

77e édition, du 5 au 25 juillet 2023

Festival d’Avignon • 84000 Avignon
Programmation en ligne
Réservations (Cloître Saint-Louis), à partir du 7 avril en ligne et au téléphone à partir du 12 avril : 04 90 27 66 50
Plus d’infos ici

Revoir la présentation de la programmation ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
La programmation rêvée de 2020, par Lorène de Bonnay

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories