L’amour joue à colin-maillard
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Il avait monté « La Double Inconstance » en 1981. Depuis, Alain Françon a dirigé des scènes de première importance, suscité l’admiration de tous, remporté bien des prix avec des mises en scène de Tchekhov, Albee, Bernhard et bien d’autres… et surtout d’Edward Bond. Bref, quarante ans après, il revient à Marivaux avec « La Seconde Surprise de l’amour ». Éblouissement et désenchantement.
Marivaux fait peur. À l’instar de Tchekhov… Sa science de l’âme humaine, son impressionnisme de la description des errements, étapes et fragments du désir amoureux sont distillés dans une langue qui aime jouer avec les mots, créer des ricochets avec les sentiments, les apparences, les fuites et les dérobades.
Dans La Seconde Surprise de l’amour, une jeune veuve et un Chevalier pleurent chacun de leur côté un amour anéanti. Ils se désolent et font la tristesse, mais aussi le bavardage, de ceux qui les entourent et veulent sécher leurs larmes, mus par leur propre intérêt. Réunis par leur proximité de voisinage, la Marquise et le Chevalier, qui pensent avoir fait le tour du sentiment amoureux, vont découvrir une âme qui leur ressemble, en être séduits et bien sûr se tromper sur ce qu’ils ressentent. C’est du Marivaux ! Dans leur petite communauté réduite à sa plus simple expression, leurs valets, Lisette et Lubin œuvrent au mariage de leurs maîtres, un Comte épris de la jeune femme et un moraliste féru de Sénèque ennemi des passions.
L’âge et l’expérience ne font rien à l’affaire
On ne peut que saluer la mise en scène d’Alain Françon, sa direction d’acteurs précise et juste, l’attention qu’il porte aux mots, sa capacité à faire entendre les malentendus avant qu’ils ne surgissent, à broder les dialogues de mille petits détails révélateurs, ombres, non-dits, lapsus pour fournir aux comédiens une partition somptueuse. Le décorateur Jacques Gabel joue des contrastes : les bâtiments rectilignes à cour et à jardin, le petit bassin rectangulaire propret ne sauraient cacher l’arrière-plan de cette magnifique toile peinte d’arbres exubérants, d’une nature foisonnante, indisciplinée. Les valets, qui n’ont que faire des traditions, laissent parler leurs envies, leurs désirs, leurs intérêts, tandis que Marquise et Chevalier, tout corsetés par les apparences, s’épuisent à nier l’évidence.
On redécouvre une véritable drôlerie à cette comédie, grâce notamment à Suzanne De Baecque en servante futée, joyeuse, à l’énergie infatigable, mais aussi au jeu plein de surprises des acteurs, qui quittent, pour un moment, attitude et langage guindés pour laisser sortir des soupirs appuyés, se rouler par terre d’énervement et se livrer à d’autres conduites inattendues. Georgia Scalliet en Marquise aux abois offre un jeu particulièrement sensible et… surprenant.
Toute la distribution est impeccable, l’ensemble bien huilé. Pourtant, on a du mal à être pris par cette histoire dont on comprend vite les ficelles. Peut-être le spectacle est-il trop sage, trop soigné, comme une démonstration d’un savoir-faire que personne ne conteste à Marivaux, ni à Françon ! ¶
Trina Mounier
La Seconde Surprise de l’amour, de Marivaux
La pièce est éditée aux éditions Gallimard
Production : Théâtre des nuages de neige
Mise en scène : Alain Françon
Avec : Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet
Dramaturgie et assistanat à la mise en scène : David Tuaillon
Décor : Jacque Gabel
Lumière : Joël Hourbeigt
Costumes : Marie La Rocca
Musique : Marie-Jeanne Séréro
Chorégraphie : Caroline Marcadé
Son : Léonard Françon et Pierre Bodeux
Coiffures et maquillages : Judith Scotto
Régie générale : Joseph Rolandez
Durée : 1 h 50
TNP Villeurbanne • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 9 au 19 décembre 2021, les soirs à 20 heures sauf le jeudi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi
De 7 € à 25 €
Réservations : 04 78 03 30 00 ou par mail
Tournée :
- du 20 au 21 janvier, scène nationale Châteauvallon-Liberté, Toulon
- du 1er au 5 février, Théâtre municipal de Caen
- du 10 au 19 février, Théâtre Montansier, Versailles
- du 8 au 12 mars, Théâtre Dijon Bourgogne, centre dramatique national
- du 16 au 18 mars, Comédie de Colmar, scène nationale
- du 24 mars au 1er avril, Théâtre national de Strasbourg
- du 6 au 9 avril, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
- du 13 au 16 avril, La Comédie de Saint-Étienne, centre dramatique national
- les 26 et 27 avril, Théâtre du Beauvaisis, scène nationale de Beauvais
À découvrir sur Les Trois Coups
☛ La Place royale, de Pierre Corneille par Trina Mounier
☛ La Vie de Galilée, de Bertold Brecht, par Trina Mounier