« La Seconde Surprise de l’amour », de Marivaux, Théâtre National Populaire à Villeurbanne

La-Seconde-Surprise-de -l-amour-Marivaux-Alain-Françon-Jean-Louis-Fernandez

L’amour joue à colin-maillard

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Il avait monté « La Double Inconstance » en 1981. Depuis, Alain Françon a dirigé des scènes de première importance, suscité l’admiration de tous, remporté bien des prix avec des mises en scène de Tchekhov, Albee, Bernhard et bien d’autres… et surtout d’Edward Bond. Bref, quarante ans après, il revient à Marivaux avec « La Seconde Surprise de l’amour ». Éblouissement et désenchantement.

Marivaux fait peur. À l’instar de Tchekhov… Sa science de l’âme humaine, son impressionnisme de la description des errements, étapes et fragments du désir amoureux sont distillés dans une langue qui aime jouer avec les mots, créer des ricochets avec les sentiments, les apparences, les fuites et les dérobades.

La-Seconde-Surprise-de -l-amour-Marivaux-Alain-Françon-Jean-Louis-Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Dans La Seconde Surprise de l’amour, une jeune veuve et un Chevalier pleurent chacun de leur côté un amour anéanti. Ils se désolent et font la tristesse, mais aussi le bavardage, de ceux qui les entourent et veulent sécher leurs larmes, mus par leur propre intérêt. Réunis par leur proximité de voisinage, la Marquise et le Chevalier, qui pensent avoir fait le tour du sentiment amoureux, vont découvrir une âme qui leur ressemble, en être séduits et bien sûr se tromper sur ce qu’ils ressentent. C’est du Marivaux ! Dans leur petite communauté réduite à sa plus simple expression, leurs valets, Lisette et Lubin œuvrent au mariage de leurs maîtres, un Comte épris de la jeune femme et un moraliste féru de Sénèque ennemi des passions.

L’âge et l’expérience ne font rien à l’affaire

On ne peut que saluer la mise en scène d’Alain Françon, sa direction d’acteurs précise et juste, l’attention qu’il porte aux mots, sa capacité à faire entendre les malentendus avant qu’ils ne surgissent, à broder les dialogues de mille petits détails révélateurs, ombres, non-dits, lapsus pour fournir aux comédiens une partition somptueuse. Le décorateur Jacques Gabel joue des contrastes : les bâtiments rectilignes à cour et à jardin, le petit bassin rectangulaire propret ne sauraient cacher l’arrière-plan de cette magnifique toile peinte d’arbres exubérants, d’une nature foisonnante, indisciplinée. Les valets, qui n’ont que faire des traditions, laissent parler leurs envies, leurs désirs, leurs intérêts, tandis que Marquise et Chevalier, tout corsetés par les apparences, s’épuisent à nier l’évidence.

La-Seconde-Surprise-de -l-amour-Marivaux-Alain-Françon-Jean-Louis-Fernandez
Jean-Louis Fernandez

On redécouvre une véritable drôlerie à cette comédie, grâce notamment à Suzanne De Baecque en servante futée, joyeuse, à l’énergie infatigable, mais aussi au jeu plein de surprises des acteurs, qui quittent, pour un moment, attitude et langage guindés pour laisser sortir des soupirs appuyés, se rouler par terre d’énervement et se livrer à d’autres conduites inattendues. Georgia Scalliet en Marquise aux abois offre un jeu particulièrement sensible et… surprenant.

Toute la distribution est impeccable, l’ensemble bien huilé. Pourtant, on a du mal à être pris par cette histoire dont on comprend vite les ficelles. Peut-être le spectacle est-il trop sage, trop soigné, comme une démonstration d’un savoir-faire que personne ne conteste à Marivaux, ni à Françon ! 

Trina Mounier


La Seconde Surprise de l’amour, de Marivaux

La pièce est éditée aux éditions Gallimard

Production : Théâtre des nuages de neige

Mise en scène : Alain Françon

Avec : Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet

Dramaturgie et assistanat à la mise en scène : David Tuaillon

Décor : Jacque Gabel

Lumière : Joël Hourbeigt

Costumes : Marie La Rocca

Musique : Marie-Jeanne Séréro

Chorégraphie : Caroline Marcadé

Son : Léonard Françon et Pierre Bodeux

Coiffures et maquillages : Judith Scotto

Régie générale : Joseph Rolandez

Durée : 1 h 50

TNP Villeurbanne • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne

Du 9 au 19 décembre 2021, les soirs à 20 heures sauf le jeudi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi

De 7 € à 25 €

Réservations : 04 78 03 30 00 ou par mail

Tournée :

À découvrir sur Les Trois Coups

☛ La Place royale, de Pierre Corneille par Trina Mounier

☛ La Vie de Galilée, de Bertold Brecht, par Trina Mounier

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories