La magie du théâtre
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Dominique Lardenois, directeur du Théâtre de Privas, réalise une époustouflante mise en scène de « la Tempête ». Nouvelle traduction, interprétation, scénographie, images vidéo, musique et jeux circassiens participent tous à la réussite de ce magnifique défi théâtral.
Ultime pièce de William Shakespeare considérée souvent comme une cérémonie d’adieu au théâtre, la Tempête rassemble, dans un subtil cocktail, situations de tragédie, de comédie, de romance, clowneries et procédés de magie scénique. L’intrigue en est simple : en exil forcé sur un îlot sauvage avec sa fille Miranda, Prospero, fin lettré et passionné par les sciences occultes, déclenche une tempête qui fait échouer près de lui les usurpateurs de son trône. Aidé par Ariel, « esprit de l’air », il les soumet à des épreuves puis se convainc de renoncer à la vengeance et pardonne à tous. Il abandonne son manteau de magicien, promet sa fille au fils d’un de ceux qui l’ont trahi et s’engage sur le chemin de la raison. Quant au fond, l’œuvre interroge, non sans humour, les pouvoirs éphémères des illusions, qu’elles concernent la destinée humaine ou l’essence même du théâtre.
Pour donner vie à cette Tempête, il fallait aux commandes de ce spectacle une sorte de frère jumeau de Prospero, capable d’affronter tous les registres de l’écriture shakespearienne. Une espèce de démiurge que ne rebute pas le mélange des genres, que n’effraie pas le baroquisme et le fantastique des situations, qu’enthousiasme le pari d’édifier une fête théâtrale populaire. Identification accomplie par Dominique Lardenois avec la complicité de toute son équipe artistique.
Premier bonheur de cette création, la nouvelle traduction de la Tempête réalisée par Dorothée Zumstein. Après avoir traduit le Roi Lear, Macbeth et Richard III, elle fait partager sa joie de mettre ses mots au service d’une pièce qui questionne notre rapport au réel et s’avère nécessaire dans une époque, dit-elle, « envahie d’écrans et d’images et de faits balancés à tout va, où fiction et réalité s’entremêlent dangereusement ». Deuxième bonheur, celui d’une scénographie inventée par Dominique Lardenois, qui transforme l’île de Prospero en un vaste mur d’images animées citant, par exemple, Le Douanier Rousseau ou Jérôme Bosch. Projetées aux dimensions d’un écran cinémascopique, les vertiges irrationnels du père de Miranda prennent une force poétique saisissante. Troisième bonheur, la qualité et l’homogénéité de la distribution. Philippe Dusigne (Prospero) incarne un personnage sobre et tourmenté, amoureux émouvant de sa fille, maître exigeant et facétieux d’Ariel, autoritaire et généreux vis-à-vis de ses adversaires, désabusé et lucide vis-à-vis de lui-même. Chiraz Aïch (Ariel), aussi à l’aise dans le jeu de cirque que dans la comédie et le chant, fait souffler sur le spectacle un vent d’espièglerie, d’impertinence et d’intelligence. Hervé Goffings (Caliban) sculpte un « monstre-esclave » convaincant d’étrangeté et de poésie. Tous les autres comédiens mériteraient d’être cités tant ils contribuent à faire de cette Tempête une création collectivement impressionnante. Et il ne faut pas oublier non plus l’inventivité de la musique de Christian Chiron, les sons imaginés par Marc Pieussergue, la puissance de la vidéo de Thibault Pétrissans, la beauté des costumes de Patricia De Petiville et Barbara Mornet.
Une fête théâtrale
Avec l’engagement de la totalité de ses collaborateurs, Dominique Lardenois, qui en rêvait depuis vingt ans, fait la démonstration de l’étendue de son talent. Sa mise en scène de la Tempête conjugue avec maestria l’imaginaire débridé d’un artiste libre et l’heureuse appropriation d’un chef-d’œuvre de la littérature dramatique.
Le plaisir pris à cette fête théâtrale s’augmente également de ce qui suit. Lardenois a décidé de donner treize représentations à Privas (8300 habitants) et parié de réunir 6000 spectateurs. Au soir de la première, ils étaient déjà plus de 5000 à avoir réservé. Gageons que les amateurs de théâtre, professionnels ou non, sauront peser de tout leur poids pour que cette exceptionnelle création voyage vers d’autres scènes. ¶
Michel Dieuaide
la Tempête, de William Shakespeare
Nouvelle traduction : Dorothée Zumstein
Texte publié aux Nouvelles Éditions Place
Adaptation, mise en scène et scénographie : Dominique Lardenois
Avec : Chiraz Aïch (Ariel), Jean-Marc Avocat (Alonzo), Josephine Berry (Miranda), Stéphane Delbassé (Trinculo), Philippe Dusigne (Prospero), Jean-Louis Fayollet (Stephano), Hervé Goffings (Caliban), Philippe Granarolo (Antonio), Guillaume Remy (Ferdinand), Gaston Richard (Gonzalo), Gérald Robert-Tissot (Sébastian)
Théâtre de Privas • Place André Malraux • BP 623 • 07006 Privas Cedex
Du 16 au 30 novembre 2017
Durée : 2 heures
Photo © privasouvezephoto
De 12 € à 16 €
Réservation : 04 75 64 93 39