« la Voix humaine », de Jean Cocteau, Théâtre national populaire à Villeurbanne

Christian Schiaretti donne de la voix

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Du mythique monologue de Jean Cocteau, « la Voix humaine », Christian Schiaretti propose une version hybride. À une interprétation uniquement théâtrale succède la composition lyrique de Francis Poulenc. Magnifique !

Cette courte pièce en un acte pour une actrice pourrait aussi s’appeler « l’Absence » ou « l’Absent » : en effet, une femme seule dans sa chambre parle à son amant, qui vient de rompre avec elle. Il est parti avec une autre, il ne reviendra pas. La conversation se déroule par l’intermédiaire d’un téléphone, un instrument relativement nouveau pour l’époque. Il rend possible la communication tout en la laissant aléatoire, fragile, source de frustrations et d’angoisses : coupures, bruits parasites, erreurs d’aiguillage masquent l’insupportable vérité tout en la révélant. Rien n’a changé finalement, et cela rend la pièce curieusement proche.

Fanny Gamet, la scénographe de Christian Schiaretti, a installé un grand canapé-lit ouvert, draps défaits, au centre d’un immense miroir noir. Il réfléchit les couleurs bleutées qui composent la palette du décor. Un lustre moderne et élégant ainsi qu’un téléphone sont les seuls accessoires. Mais la machine impose sa présence centrale, maintenant l’illusion ténue d’un dialogue en réalité déjà rompu. L’abandonnée s’y accroche désespérément.

Elle, c’est d’abord Sylvia Bergé qui fait une nouvelle fois la preuve de sa sensibilité et de son talent de comédienne. Elle arpente le plateau, se jette sur le lit, se relève immédiatement, traduisant physiquement les errements de son âme. Grâce à ses expressions, on imagine ses paroles à lui, ses silences aussi, car il se dérobe. Tantôt elle rugit de colère, tantôt elle balbutie des excuses pitoyables, espérant le garder, le faire revenir, conserver une place dans son cœur… sans y croire. À elle seule, elle fait vivre le couple, le dialogue, la relation amoureuse ou ce qu’il en reste.

« la Voix humaine », mise en scène de Christian Schiaretti © Danielle Pierre
« la Voix humaine », mise en scène de Christian Schiaretti © Danielle Pierre

Une femme, deux voix

Quand Sylvia Bergé quitte la scène, entre Christophe Manien, tel le fantôme ardemment attendu… Mais il s’agit du pianiste. Et quel pianiste, pour cette partition tout en ruptures et rythmes syncopés, selon le mouvement des sentiments ou la sonnerie du téléphone ! Francis Poulenc n’a pas composé sa musique sur le texte de Cocteau mais avec lui, et ce dernier a lui-même écrit le livret, une version allégée, plus nerveuse et plus incisive, de la Voix humaine. Mais le pianiste n’est pas seul, il accompagne une soprano habituée des grandes scènes lyriques, Véronique Gens, dont la présence instantanément l’impose comme une immense tragédienne. Sa voix chaude, vibrante, épouse les contours du désespoir comme des ultimes tentatives de séduction. Son personnage bouleversant fait oublier les prouesses techniques de son art.

L’excellence de Véronique Gens n’enlève rien à la belle interprétation de Sylvia Bergé mais fait toucher du doigt ce qu’apporte la musique de Poulenc au texte du poète. Elle le fait chatoyer, lui insuffle de la puissance et de la vie. 

Trina Mounier


La Voix humaine de Jean Cocteau

Mise en scène de Christian Schiaretti

Tragédie lyrique de Francis Poulenc

Avec Véronique Gens (soprano) et Christophe Manien (piano)

Théâtre national populaire • 8 place Lazare Goujon • 69100 Villeurbanne

04 78 03 30 00 

Du 16 au 19 octobre 2018

De 9 € à 25 €

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