Amant, pour le meilleur et pour le pire
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
La Cie Bord cadre y jouait une incroyable et acrobatique « Fausse Suivante » l’an passé. Elle revient cette année au Café de la danse avec « l’Amant » de Pinter. Une presque histoire d’amour bien belle mais fort longue.
Sarah reçoit régulièrement l’amant Max dans l’appartement de son mari, Richard. Et sous son regard bienveillant, encore. La routine. Lever bon pied, bon œil, bol of milk, chemise, cravate, he scratches ses shoes and then he goes. Jour après jour, au seuil de la porte, il lance un peu inquiet : « Is your lover coming today ? » Coming : 1/ « venir » ; 2/ « jouir ». Bienvenue en Pinterie, un pays où un mot vaut pour un autre (une syllepse en stylistique), où le langage se grippe, joue, se répète, où la vie vire à l’absurde.
De fait, le néovaudeville attendu dérape vite, la comédie coince et grince. Illusion ou vérité, théâtre dans le théâtre, doubles rôles, on ne sait trop que croire. Car, renversement de situation à mi-parcours, Richard se révèle tromper aussi Sarah. Mais il pourrait aussi bien n’être, finalement, que Richard jouant le rôle de Max jouant le rôle de l’amant, et sa femme adultère, sa maîtresse… Bref, deux coquins s’amusant à se tromper mutuellement pour égayer leur couple.
Un grand miroir tournant en fond de scène, perdu dans un décor blanc et gris, taché de rouge figure ce jeu de travestissement. De trop larges et trop profonds fauteuils en forme de paire de jambes pliées, un lit-table biseauté à roulettes, deux gros verres à cognac, une couette légère, deux oreillers et des chaussures à talons jetées sur un plateau blanc. Cette excellente scénographie (une constante chez Bord cadre) est enrichie d’une bande-son jouée au xylophone, à la corde vocale et au bruit de bouche par un troisième compère au milieu de la salle, et de quelques tubes anglais.
Tout bien parti donc, car on savait les comédiens excellents (une constante chez Bord cadre) et le jeu très corporel. C’est avéré. Mais la pièce a vieilli, et le choix de plonger à corps perdu dans la mécanique pinterienne de la rengaine, de l’absurde à répétition, l’étirement sur près de deux heures d’une pièce qui mériterait un traitement quasi expéditif (on en sait la troupe capable) font décrocher à mi-parcours. Un coup de xylo pour signaler les changements de rôle : Richard prend la place de Max, et ça repart. Un tour de trop. D’autant que Dounia Sichov et Guillaume Tobo ne semblent pas très à l’aise avec ce texte glissant qui se laisse difficilement mettre en bouche.
Cet Amant ne séduit pas, mais avec Bord cadre on a signé pour le meilleur et pour le pire. On oubliera donc les quelques longueurs de cet essai en attendant le prochain travail : Tailleur pour dames de Feydeau, l’an prochain. ¶
Cédric Enjalbert
l’Amant, de Harold Pinter
Cie Bord cadre
Mise en scène : Cécile Rist
Avec : Robert Hatisi, Dounia Sichov, Guillaume Tobo
Direction artistique : Guillaume Tobo
Scénographie et costumes : Mathieu Crescence
Lumières : Carole Van Bellegem
Photo : © Mathieu Crescence
Café de la danse • 5, passage Louis-Philippe • 75011 Paris
Réservations : 01 47 00 57 59
Les 21, 22, 23 et 28, 29, 30 décembre 2009 à 20 h 30
Durée : 2 heures
19 € | 12 €