Médée en Australie
Trina Mounier
Les Trois Coups
Tommy Millot nous emmène au fin fond du bush australien, en terre sauvage, pour un voyage au cœur des violences familiales, aussi âpre que sobre, aussi percutant que tranchant. Et pourtant, ce spectacle se déploie sans que soit posée la question morale. Avec la rigueur d’une tragédie antique. Magnifique.
Voici un spectacle peu enclin à bavardage, tant la langue d’Angus Cerini, encore peu joué en France, est rugueuse, drue, avançant à travers onomatopées et ellipses, allant au plus court. C’est au moins ainsi que nous la rend Dominique Hollier, traductrice qui avoue avoir dû se battre avec ce texte, pour éviter de le rabaisser à une poésie rurale, à un langage primitif.
La pièce se déroulait ce soir-là en plein air, dans un dispositif tri-frontal fait de bancs d’école. Pour tout décor trois chaises disposées face à nous sur lesquelles prennent place M’man et ses deux filles. Pas de lumière ni de bande-son. Le théâtre à l’état nu.
Que reste-t-il alors au metteur en scène ? À vrai dire, ces choix signent déjà un style, celui qu’on avait découvert dans la Brèche, son précédent spectacle monté à Lyon. De même, celui-là, joué dans une sorte de carré marqué au sol, débarrasse le plateau de tout décorum pour laisser l’entièreté de la place aux acteurs.
Tommy Millot est d’ailleurs un directeur d’acteurs émérite. Ses comédiennes se sont glissées dans ces rôles plutôt ingrats avec une aisance remarquable. Il est vrai que la mère (la meurtrière) est incarnée à la perfection par Dominique Hollier elle-même. Tommy Millot, qui vient de terminer une Médée très appréciée, en connaît un rayon sur la vengeance féminine…
Une monstrueuse tragi-comédie
Alors, que se passe-t-il quand l’ogre meurt, dès lors que ne se pose pas de question morale ? D’abord, crier sa haine, hurler sa joie, ce que les trois femmes font devant nous dès les premières paroles. Elles déversent des torrents d’insultes sur lui, celui qui les a violentées, tenues sous le joug, écrasées de sa supériorité physique.
Il reste aussi le problème de se débarrasser du corps. Même dans le bush, ce n’est pas si simple. L’homme était imposant, massif. Commence alors une lutte macabre et grandguignolesque où aucun détail ne nous est épargné : ni les rats ayant commencé à manger les yeux, ni les corbeaux qui guettent pour nettoyer les restes. Là est d’ailleurs le sens du titre, l’arbre à sang, où l’on pend les bêtes pour les écorcher et les éviscérer. C’est justement cette crudité appliquée au corps de l’homme détesté, du monstre stricto sensu, qui nous fait nous réjouir d’une mort aussi profane, vulgaire, répugnante.
Et puis, pour faire avancer l’intrigue, il y a le passage des voisins qui viennent demander des nouvelles de l’homme, comme on le fait souvent dans ces contrées si dangereuses où l’on peut disparaître sans que l’on vous retrouve. Et là se déploie l’extraordinaire drôlerie de ce récit : alors que les trois femmes ont fini par se mettre d’accord sur une version qui tient debout, on s’aperçoit que sans en dire rien, les voisins savent, en tout cas devinent et n’en diront rien. D’où des dialogues surréalistes. Laissant planer l’idée d’une issue heureuse, fort amorale.
Trina Mounier
L’Arbre à sang, d’Angus Cerini
Traduction : Dominique Hollier
La pièce est publiée aux Editions théâtrales
Mise en scène, lumières et costumes : Tommy Millot
Avec : Dominique Hollier, Lena Grarrel, Aude Rouanet
Dramaturgie : Sarah Cillaire
Durée : 1 heure
À partir de 14 ans
Théâtre Point du Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon
Du 13 au 15 mai 2025, à 20 heures (en nomades les 13 et 14 mai aux Grandes voisines de Francheville et le 15 au Lycée La Favorite)
Tarifs : de 5 € à 18 €
Réservations : billetterie en ligne • Tel. : 04 78 25 27 59
Tournée :
• Les 17 et 20 mai, (64) Le Préau CDN de Vire (14)
• Le 19 juin, La fraternelle Maison du Peuple, à Saint-Claude (39)
• Le 20 juin, La Sitelle, à Saint-Laurent-en-Grandvaux (39)
• Le 21 juin, Le Manoir, à Mouthier-Haute-Pierre (25)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ La Brèche, de Naomi Wallace, par Trina Mounier
Photos : en une © Pierre Rich ; la 2 © Pauline Le Goff