« l’Avare », de Molière, Théâtre des Quartiers‐d’Ivry à Ivry

l’Avare © Bellamy

Harpagon transfiguré

Par Olivier Pradel
Les Trois Coups

Qui ne connaît « l’Avare » et quelques-unes de ses répliques cultes ? Comme une farce aux multiples rebondissements et aux accents de commedia dell’arte, où Molière vieillissant se gausse des « avaricieux »… Que nenni ! Nicolas Liautard nous en livre une lecture beaucoup plus grave. Et nous fait goûter un comique retenu qui confine au tragique.

Quand une pièce aussi jouée que l’Avare est montée en même temps dans plusieurs salles de Paris, nous sommes en droit de nous demander si le théâtre ne bégaie pas un petit peu. Et à quoi bon aller revoir une énième fois cette pièce archiconnue ? Valeur sûre, choix facile, succès assuré… Et c’est sur ce point que la mise en scène de Nicolas Liautard, venu de la Scène Watteau, joue la surprise. N’allez pas voir les autres, même si nos confrères vous en ont dit du bien, l’interprétation incontournable du moment est aux Théâtre des Quartiers-d’Ivry.

Bien sûr, cela a un coût. L’adaptation, qui se veut grave, se fait parfois un peu lente : pensez, la pièce s’étire sur plus de deux heures ! Et, au milieu de comédiens remarquables, s’est perdu un Marc Citti au style grandiloquent, qui massacre son texte en s’excitant plus qu’il ne joue, campant un Cléante mafflu et boudiné dans son costume, n’ayant pas pris la peine de retirer son alliance… bien loin du jeune premier attendu.

Ceci mis à part, le spectacle est un enchantement, grâce au talent éblouissant et contrasté du reste de la troupe, qui manifestement prend plaisir à jouer. Et nous le communique. Ainsi, Lazare Herson‑Macarel est pétillant, jeune cabri à qui l’on souhaite de gravir d’autres et nombreux piédestaux. Quant à l’enjôleuse Marion Suzanne, elle manifeste que, chez Molière, les servantes et les entremetteuses ont parfois plus d’importance que les filles de bonne famille, même ruinées.

La critique de l’avarice dont il s’agit n’est pas une gentillette leçon de morale, mais une inquiétante plongée dans le désir humain… Ce vieil homme voulant tout accaparer et tout retenir – les richesses, les femmes et même ce que les autres pensent ou disent – finit par se murer dans une solitude paranoïaque, devenant un spectre que la vie fuit. Jean‑Pol Dubois incarne alors un Harpagon décharné, hâve, au teint cadavérique, tantôt traversé par les soubresauts de la folie, tantôt l’œil vif et le geste habile quand se profile ne serait-ce que l’idée du seul objet de son désir. Son univers est pauvre comme l’est son mobilier, sombre comme les costumes de son entourage, terreux comme la scène régulièrement enterrée, dans laquelle il finira par s’enfouir lui-même.

Pathétique avaricieux ! Il étouffe et spolie ses enfants, préfère la flatterie complaisante à la vérité crue, qui pourrait le confronter à ses incohérences, impose une conjuration du mensonge, dont tous finiront par goûter le poison… Il ressemble parfois à un vieux confesseur qui traque la confidence, maniant la menace tout autant que la complaisance, pour prendre dans ses rêts ceux qui s’ouvriraient à lui.

Face à ce père tyrannique, émerge au final une figure paternelle providentielle en la personne d’Anselme, joué par Wolfgang Kleinertz. Ce pater ex machina, mondain, retranché derrière ses lunettes de mafioso, à la générosité facile, n’est pas un père beaucoup plus crédible : il règne dans un univers de couleurs devenues bariolées, aux accents de fête foraine factice…

Comme un écho à la crise actuelle de la paternité, Liautard nous place devant deux pères qui n’en sont pas vraiment : le père omniprésent et le père trop longtemps absent, le père lycaonnien et le père prodigue. Où est le vrai père qui pourrait ouvrir à la vie ? Peut-être émerge-t-il dans le fils insoumis : dans l’univers « marronnasse » de son père, Cléante fait apporter la première touche de couleurs et de vie, une abondante corbeille d’oranges… comme un affront à son père, ou le premier don d’un fils ayant reconquis son héritage. 

Olivier Pradel


l’Avare, de Molière

Mise en scène : Nicolas Liautard

Assistant à la mise en scène : Vincent Wallez

Avec : Jean‑Yves Broustail (Me Simon, Brindavoine, le Commissaire, le Clerc), Eddie Chignara (Me Jacques), Marc Citti (Cléante), Jean‑Pol Dubois (Harpagon), Nelly Froissart (Mariane), Lazare Herson‑Macarel (Valère), Wolfgang Kleinertz (Dame Claude, Anselme), Nicolas Liautard (la Merluche, la Flèche), Célia Rosich (Élise), Marion Suzanne (Frosine)

Scénographie : Nicolas Liautard, Damien Caille‑Perret

Costumes : Élise Baldi

Lumières : Pascal Sautelet

Régie générale : Jürg Häring

Administration : Magalie Nadaud

Photo : © Bellamy

Théâtre des Quartiers-d’Ivry – Antoine-Vitez • 1, rue Simon-Dereure • 94200 Ivry

Métro : Mairie-d’Ivry

Réservations : 01 43 90 11 11

www.theatre-quartiers-ivry.com

Du 5 janvier au 1er février 2009, à 20 heures les mardi, mercredi, vendredi et samedi ; à 19 heures le jeudi ; à 16 heures le dimanche, relâche le mercredi 7 janvier 2009 et tous les lundis

Durée : 2 h 20

19 € | 12 € | 9 €

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