Étienne au Pays des merveilles
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Dresseur de fantômes, enchanteur de loup, Étienne Saglio est l’un des représentants les plus captivants de la magie nouvelle. Associé au Rond-Point, il y présente un magnifique conte pour grands enfants inspiré par la forêt. Une connexion directe avec le merveilleux comme avec nos pulsions refoulées.
Ici, les feuilles mortes ne se ramassent pas à la pelle ! Dans son intérieur tout propre, Étienne Saglio ne parvient plus à maîtriser son ficus, ni son balai, ni même ses souvenirs. Et voilà que le damier se transforme, que le placard se dérobe avec un accès direct sur le dehors !
Au cœur de cette forêt profonde, un drôle de monde s’anime. Entre clair de lune et lever de soleil, on y croisera un géant mélancolique, un majestueux cerf, un bonhomme de lierre, autant d’archétypes qui nous rassurent un peu. Mais, ici et là, quelques animaux sauvages. Soudain, un esprit surgit derrière les arbres. Au pied, un sac rouge traîne. Comme un loup rôde, on s’attend à voir bientôt le Petit Chaperon rouge. Le petit Étienne porte bien un pantalon de la même couleur, sauf qu’il incarnerait plutôt le Petit Poucet… En tout cas, dans la nuit froide, la comptine Promenons-nous dans les bois lui donne ses repères. Renouant avec sa part d’enfance, moment de tous les possibles, il entame alors son initiation, source de fécondes découvertes. Plusieurs épreuves vont l’aider à grandir.
Conçu comme un conte, on retrouve avec plaisir quelques créatures de Grimm et compagnie. Toutes sont plutôt bienveillantes. Le plus drôle : non pas le lapin rescapé de Lewis Carroll, mais un renard échappé de Tex Avery qui parade plus qu’il n’en faut pour orchestrer ce bestiaire fantastique. Ce n’est pas un hasard si tant d’auteurs ont été inspirés par la forêt. Fruit de fantasmes, d’angoisses ancestrales, celle-ci est un véritable vivier. Depuis des lustres, ses habitants et ses chimères habitent nos rêves et parfois nos cauchemars.
À pas de loups
Tout doucement, sans faire de bruit, Étienne Saglio s’aventure à son tour à la lisière de nos mondes intérieurs. Après avoir apprivoisé des objets abandonnés (le Soir des monstres ; lire la critique de Lise Facchin ici)) et des fantômes (les Limbes ; lire la critique d’Aurore Krol ici), il dompte nos peurs, en même temps que les siennes, avec une infinie délicatesse : « Comme toujours dans mon travail, je mélange des choses très personnelles à des mythes qui peuplent l’imaginaire collectif ». Or, la forêt l’habite, quand bien même il s’en est éloigné, comme beaucoup d’adultes. Il s’emploie ici à son réenchantement : « Tendons l’oreille au Bruit des Loups qui résonne en nous comme une pensée sauvage ».
Étienne Saglio questionne le rapport à la nature en explorant ses rêves. On a l’impression que ce sont les siens, enfant, qui prennent forme, là sous nos yeux ébahis par tant de beauté. Procédant par juxtaposition d’images et flash-back, ce créateur ô combien inventif nous mène sur des chemins peu balisés, nous livrant les images qui le hantent dans un lyrisme brut.
Beautés plastiques et fulgurances poétiques
La scénographie évolutive contribue pour beaucoup au charme de l’ensemble. Le dispositif, complexe, emprunte autant à l’artisanat qu’aux nouvelles technologies. Magie des petits riens et effets spéciaux se conjuguent habilement. Entre naturalisme et onirisme, l’univers plastique est sublimé par les lumières d’Alexandre Dujardin (cela ne s’invente pas !) qui troublent la perception. Derrière nous, une petite fille n’a eu de cesse de vouloir distinguer le vrai du faux, demandant à ses parents, à chaque apparition, si c’était « pour de vrai ». En effet, hologrammes, projections, marionnettes et êtres de chair et d’os créent un sacré charivari. La création sonore nous plonge aussi d’emblée dans l’écosystème : bruit des feuilles mortes sous les pieds, hululement de la chouette, ballet nocturne des chauves-souris sont plus vrais que nature… En immersion, le public ressent de puissantes sensations.
On se perd donc volontiers dans les méandres de cet imaginaire prolifique, surtout que ces créatures sont plutôt bienveillantes. Le colosse au cœur tendre, comme les plantes rebelles s’avèrent finalement de précieux alliés. Dans cette facétie, Étienne Saglio se joue de nous car, de fausses perspectives aux apparences trompeuses, on peut s’attendre à tout.
Avec ses peurs tapies sous des feuilles mortes, il balaye surtout les a priori. Non, la forêt n’est pas hostile. Au contraire, on peut y trouver du réconfort. C’est un endroit de repli. Un antre où se réfugier des turpitudes urbaines. Alors, laissons les feuilles mortes nourrir l’humus, respectons la faune sauvage, apprivoisons plutôt nos démons intérieurs et… Promenons-nous dans les bois, même si le loup y est ! ¶
Léna Martinelli
Le Bruit des Loups, d’Étienne Saglio
Avec : Étienne Saglio, Bastien Lambert, Guillaume Delaunay et les loups Émile, Boston
Scénographie : Benjamin Gabrié
Dramaturgie et regard extérieur : Valentine Losseau
Regard extérieur : Raphaël Navarro
Musique : Madeleine Cazenave
Création lumière : Alexandre Dujardin ou Laurent Beucher
Création sonore : Thomas Watteau
Conception vidéo : Camille Cotineau
Durée : 1 h 15
Tout public
Théâtre du Rond Point Paris • Salle Renaud-Barrault • 2 bis, avenue Franklin-Roosevelt • 75008 Paris
Du 3 au 20 novembre 2021, du mercredi au dimanche à 20 h 30, dimanche à 15 heures, relâche les lundis et le 11 novembre
Tarifs : de 12 à 38 €
Réservations : 01 44 95 98 21 et en ligne ici
Tournée
- Du 2 au 3 décembre, Le Manège, à Maubeuge
- Du 15 au 22 décembre, La Comédie de Genève
- Du 6 au 8 janvier 2022, Théâtre national de Nice
- Les 27 et 28 janvier, Équilibre, à Fribourg
- Du 1er au 2 février, Le Quai, à Angers
- Du 28 février au 1er mars, L’Équinoxe, scène nationale de Châteauroux
- Les 5 et 6 mars, L’Hectare, à Vendôme
- Les 18 et 19 mars, Le Channel, à Calais
- Du 31 mars au 2 avril, L’Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône
- Du 7 au 10 avril, La Comédie, scène nationale de Clermont-Ferrand
- Du 19 au 20 mai, Maison de la Culture de Bourges, scène nationale
- Du 9 au 12 juin, Le Maillon, théâtre de Strasbourg, scène européenne
- Du 22 juin au 1er juillet 2022, Théâtre National de Bretagne de Rennes
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Que du bonheur (avec vos capteurs), de Thierry Collet, par Florence Douroux
☛ La Veilleuse, cabaret holographique, de Valentine Losseau et Raphaël Navarro