L’opérette barge de Bussang
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
« Par l’art, pour l’humanité ». La devise encadre toujours la grande scène du magique Théâtre du Peuple, à Bussang dans la vallée vosgienne, cent quinze ans après sa création. Deux pièces audacieuses et populaires y sont montées pour l’édition 2010 : un perfectible « Peau d’âne », l’après-midi, et « le Gros, la Vache et le Mainate », une hilarante « opérette barge », le soir.
Opérette barge ? Oui, vraiment barge, et complètement débile ! Cabaret sans queue ni tête… sans tête surtout, c’est le deal. S’y mêlent un gracieux strip-teaser (Luca Oldani), « juteux Don Juan » à « la verge au vent » ; un dresseur de mainate ; une pianiste muette (Laurian Daire) ; deux tatas fêlées, vieilles travesties (Jean‑Paul Muel et Pierre Vial) ; et un dramaturge (Pierre Guillois), travesti lui aussi ; un homo enceint (Olivier Martin‑Salvan) et un plombier asthénique pleurant son destin. Qui mène la barque de l’opérette barge ? Le papa de Jolie poupée : Bernard Menez (le drôle nous cache un secret). Rattrapé par ses lubies d’acteur et de chanteur, il interprète au pied levé un ou deux rôles. Mais le débotté, à Pierre Guillois, le dramaturge, ne sied (lui aussi cache un secret). La plume au vent, sinon aux… Bref, dans une seyante robe noire, il s’incruste sur scène pour reprendre son texte, là où les comédiens l’on laissé… blessé parfois (le texte), car ils additionnent les ratures (les comédiens), les faux-ratés, les accidents calculés. Du grivois, du graveleux en veux‑tu en voilà, le tout cocasse bien que gras : les turbines de la comédie carburent à plein régime. Point d’intrigue, nulle trame, seule la fantaisie de ce spectacle bizarroïde et les rebondissements improbables donnent à l’ensemble son formidable allant.
Fable improbable
En deux mots, voici la fable improbable : Xavier tombe enceint de Paul, son mari. Les irascibles et délirantes, les obsédées tantes Schmurtz et Chose se pointent pour l’extraction du polichinelle. Mais à l’ouverture du tiroir, Xavier trépasse, il clamse : « La péridurale / Satanée péridurale / Bien que devenue banale / Lui fut fafa, lui fut fatale […] / Il a péri, péri du râle » se lamente Paul. Il n’en fornique pas moins, pas fol, avec le beau Rodolph. L’effeuillage, impromptu mais toujours bienvenu, d’un strip-teaser tantôt postier lubrique ou pompier en feu, tantôt ambulancier ou sexy livreur de pizza, ne fait qu’ajouter au dérèglement de tous les sens, à commencer par ceux des tatas lestes, Schmurtz et Chose. « Il est ex… / Hubérant, sans complexe / Sa verge au vent il fait / Feu de tout mon cortex / Et livre la merguez / Pile à l’heure indiquée / Si tu allonges le pèze / Il te la fait goûter. »
Tout part en sucette… en vrille, en cacahuète. C’est la recette de ce vaudeville : les « Marx Brothers chez Pirandello », résume Jean‑Paul Muel (repris par Joshka Schildow : http://allegrotheatre.blogspot.com/2010/08/bussang-2010.html). Même le décor, de guingois d’emblée, depuis qu’un des lurons a tenté une pirouette à la Fred Astaire, et s’est mis dedans, l’a mis à terre. D’ailleurs, jolie, jolie la scénographie, elle insuffle un peu de légèreté là où l’opérette barge pourrait en manquer… Des parois à roulettes miment les murs d’un intérieur, l’une d’elles est percée d’une porte qui claque, des jeux de lumière subtils soulignent les ambiances, des effets un peu spéciaux, comme ces tableaux qui s’animent au gré des chansonnettes, lorsque les comédiens passent dedans leur tête, jeux d’illusions d’optique.
Un rythme effréné emporte ce cabaret très gay, qui s’autorise toutes les audaces. Pierre Vial sort tout juste de la Comédie-Française ? Qu’importe, travesti, il incarne face à la blonde tante Schmurtz, interprétée par l’hilarant Jean‑Paul Muel (pas novice en la matière), une salace tatie harpie, coiffée de deux cornes brunes. En joyeuses meneuses de revue, elles arrangent un duo savoureux, licencieux, cocasse, qui mérite le saut jusque Bussang. Il tient en haleine jusqu’au dernier numéro, ce music-hall qui accuse pourtant quelques longueurs. Le dernier numéro ? À Bussang, c’est un rituel : l’ouverture spectaculaire du fond de scène, sur un coteau herbeux parcouru par un sentier. De ce similijardin d’éden reconstitué à flanc de colline surgissent le mainate et la grosse tante Chose qui tire… une vache ! Bref, tout rentre dans l’ordre : on retrouve nos gros, notre vache et le mainate. L’opérette barge prend fin. Par l’art, pour l’humanité, tout est bien qui finit bien. ¶
Cédric Enjalbert
le Gros, la Vache et le Mainate. Opérette barge, de Pierre Guillois
Création 2010
Mise en scène : Bernard Menez
Assistante à la mise en scène : Sophie Cusset
Avec : Pierre Guillois, Olivier Martin‑Salvan, Jean‑Paul Muel, Luca Oldani, Pierre Vial
Pianiste : Laurian Daire
Décors : Audrey Vuong
Costumes : Axel Aust
Lumières : Jean‑Yves Courcoux
Composition musicale : François Fouqué
Arrangements musicaux : Laurian Daire
Chef de chant : Céline Bothorel
Chorégraphe : Sophie Tellier
Photo : © David Siebert
Théâtre du Peuple – Maurice‑Pottecher • 88540 Bussang
Réservations : 03 29 61 50 48
reservation@theatredupeuple.com
Les 4, 5, 6, 7, 11, 12, 13, 14, 18, 19, 20, 21, 25, 26, 27 et 28 août 2010, à 20 h 30
Durée : 2 h 10
32 € | 29 € | 26 €