« Le Massacre du printemps », cie Tout un ciel, Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, Limoges

1-Le-Massacre-du-printemps-Elsa-Granat © Franck-Guillemain

En vrac, en vrai !

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Déconcertante et débordante, la pièce d’Elsa Granat bouscule. Peut-être pas totalement adapté pour le grand plateau de l’Union, ce cathartique « Massacre du printemps » recèle, cependant, d’audaces incroyables et touche souvent. Une œuvre singulière à suivre.

On a passé toute la représentation penchée. Bon d’accord, il s’agissait d’échapper aux papotages de deux spectateurs maugréant qu’ils n’entendaient rien, qu’ils ne comprenaient rien. Mais pas seulement. On était penché comme vers une musique inouïe. Alors qu’on s’attendait à entendre une histoire de vie, on est entré en effet dans un étrange cauchemar, un objet théâtral pas totalement identifié aux déflagrations poétiques, émotionnelles et musicales souvent prenantes.

Le Massacre du printemps explose bien à la figure du spectateur comme la nouvelle que ta mère va mourir, que ton père ensuite sera emporté par la même saloperie. Criant, chantant, giflant, les actrices courent et évoluent dans un tourbillon cathartique, où l’extinction de voix traduit les combats perdus. Nique la mort ! Et le chaos qui en résulte montre la vie comme un champ / chant de bataille, dont les protagonistes sont des héroïnes du quotidien. Il y a bien entendu l’avatar d’Elsa Granat, mais aussi cette médecin qui travaille en oncologie parce qu’il aurait fallu, pour être chirurgienne, que ses mains ne tremblent pas d’émotion, et puis cette infirmière qui aurait pu être chanteuse.

La boum du malheur

Car la pièce est musicale : une boum du malheur dont le DJ serait incarné par un musicothérapeute. De bout en bout se succèdent ainsi des tubes populaires, tristes, enragés ou joyeux comme la bande-son expressionniste des émotions que traverse la narratrice. La pièce orchestre aussi des pauses, des temps apparemment morts, mais finalement intéressants. Les comédiennes extrêmement engagées se déplacent de façon étonnante. De même, des saillies poétiques coexistent avec le plus grand prosaïsme. En harmonie avec la dramaturgie, le travail d’écriture du texte interroge donc autant qu’il bouscule les repères.

Certes, on le concèdera à ses insupportables voisins : il faut suivre ! Les voix se superposent aux bruits et aux musiques. Il y a trois actrices pour jouer un rôle, on voyage entre les époques, le rêve et la réalité. Et par-dessus tout, ce qui est extrêmement intéressant dans l’écriture, la pièce joue d’une polyphonie continuelle dont les règles changent au risque de nous perdre. Mais acceptons-le. Le théâtre a le pouvoir parfois des songes. Et puis ce vertige ne nous rapproche-t-il pas de ce que vit la narratrice ?

Point aveugle ?

Non, chers voisins, ce n’est donc pas « nul ». On aura simplement quelques réticences sur la scénographie, ou plutôt sur la façon dont elle semble flotter sur le plateau de l’Union. Ok pour la pelouse verte qui nous garantit du naturalisme (clin d’œil à La Chambre verte de Truffaut ?). Ok pour le côté foutraque, mais l’action est souvent resserrée dans une boîte noire perdue à l’intérieur du plateau. On veut bien que ce soit un point aveugle, comme un œilleton obturé pour le voyeurisme du spectateur (œilleton que l’on retrouve dans une palissade), mais parfois on a l’impression que la pièce serait plus adaptée dans une petite salle, où les adresses au spectateur seraient plus fortes, la voix se perdrait moins.

Quoi qu’il en soit, Le Massacre du printemps ouvre des pistes assez stimulantes dans sa façon d’emprunter au roman ou au cinéma, dans l’audace à essayer des formes pour nous rapporter « la chair entre les dents », dans son art de mettre à distance le pathos tout en faisant ressentir la rage face à un système médical aberrant, dans sa poésie. Enfin, on apprécie que soit enfin posée sur une scène de théâtre la question du rapport des médecins à la maladie et la mort. Ceux qui ont été confrontés au maelstrom de la maladie et du deuil s’y retrouveront. 🔴

Laura Plas


Le Massacre du printemps, de la cie Tout un ciel

Site de la compagnie
Texte et Mise en scène : Elsa Granat
Dramaturgie : Laure Grisinger
Avec : Antony Cochin, Elsa Granat, Clara Guipont, Laurent Huon, Édith Proust, Hélène Rencurel
Son : Antony Cochin et Enzo Bodo
Lumière : Vera Martins
Régie son : John. M. Warts
Costumes : Marion Moinet
Durée : 1 h 20
Dès 13 ans

Théâtre de l’Union, CDN du Limousin • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Le mercredi 3 mai 2023 à 20 heures, et les 4 et 5 mai à 19 heures
De 6 € à 22 €
Réservations : 05 55 79 90 00 ou en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :
Entretien avec Aurélie Van den Daele, metteuse en scène, nouvelle directrice du CDN de L’Union et de l’ESTU à Limoges, par Laura Plas

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