À table ou presque
Des bourgeois, une bonne amnésique, un employé immigré, le commissaire de la Folie Titon… Tous les ingrédients d’un vaudeville sont réunis, avec évidemment la femme, objet des rivalités de deux parvenus, une armoire à deux pans et des portes qui claquent. Entre convoitises, bévues et roublardises, la pièce veut son pesant de cacahuètes. Très bien écrite (Prix Maeterlinck 2022-2023 du meilleur auteur), elle s’enrichit de digressions toutes plus drôles les unes que les autres.
Au pied de la lettre
Muriel Legrand et Léonard Berthet-Rivière ont l’art d’improviser avec un rien. Venus lire à table cette partition endiablée d’un auteur qui n’existe pas, ces deux-là sont exceptionnels. Ils ne tiennent pas longtemps en place, ont une grande maîtrise du rythme et du jeu physique, car ce pastiche du vaudeville offre l’occasion de moult débordements. Ils sont littéralement sur ressorts.
Le duo slalome entre les didascalies et surfe sur l’absurdité. Pour peu qu’on se laisse embarquer, on plonge avec eux dans les arcanes de l’histoire, comme dans une partition frénétique, animée par les revirements les plus rocambolesques, des bruitages à la bouche, des effets de moustache, des punchlines. La farandole de bons mots (« Oh ! Je suis confise ! ») et l’exagération contribuent grandement au comique.
De la table à la scène
Le comique de répétition est nécessaire afin d’enrayer la mécanique, puisque rien n’est déjà plus sous contrôle en cette fin de régime. L’appât du gain et de respectabilité battait son plein au XIXe et les auteurs tels Labiche ou Feydeau, ont, derrière l’apparente fantaisie, dépeint leur époque au vitriol, ce que des metteurs en scène de renom ont bien relevé ces dernières années. Si les histoires ont généralement peu d’intérêt, elles sont prétextes à une critique sociale, voire politique. Ici, un gérant voit son entreprise de papier peint foutue à cause de Chantal Couchard, pas que décorative ! Et c’est jubilatoire. Les clins d’œil aux professionnels, en nombre dans la salle, et au discours de la préfète, qui a précédé le spectacle, nous ramènent à notre époque.
Muriel Legrand et Léonard Berthet-Rivière ont bien tiré profit de cette intrigue tirée par les cheveux, usant de subterfuges pour une mise en scène simple, mais non dénuée de surprises : sens de l’à-propos, autodérision, effets très spéciaux. C’est effectivement à partir d’une sobre installation – du mobilier fonctionnel nécessaire à la lecture d’un texte – que les spectateurs se projettent dans le récit des comédiens. Ils se fabriquent eux-mêmes une idée des personnages, créent une architecture mentale du décor, ils imaginent et brodent. Après avoir bien « travaillé », ils peuvent vraiment lâcher prise dans le tableau final, l’apothéose.
En fait, par les références à leurs maîtres (dont Jacques Lecoq, évidemment), l’utilisation d’artifices (ballons, postiches, prothèses), la valorisation d’un genre populaire, la dénonciation de décors monumentaux écrasant les comédiens, ce spectacle est un vrai éloge du théâtre, parfait pour inaugurer le Chainon Manquant. Décidément, le boulevard va comme un gant à ce duo qu’on aura plaisir à retrouver !
Léna Martinelli
Le Mystère du gant
Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Écriture et mise en scène : Léonard Berthet-Rivière
Avec : Muriel Legrand et Léonard Berthet-Rivière
Assistanat à la mise en scène : Kalya Barras
Scénographie : Jérôme Souillot
Avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International
Durée : 1 h 15
Tout public
Théâtre de Laval CNM • 34, rue de la Paix • 53000 Laval
Le 16 septembre 2025
Spectacle vu dans le cadre du festival Le Chainon Manquant, 34e édition, du 16 au 21 septembre 2025
Tournée :
• Du 2 au 12 décembre, dans le cadre de la tournée TANDEM de Douai), à Somain, Achiet-le-Petit, Inchy-en-Artois, Arras (Théâtre de l’Université d’Artois)
• Les 16 et 17 décembre, Théâtre d’Arles
Photos : © Noémie della Faille
