Ça fait bien
par où ça casse
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Quelque part du côté de Fassbinder, ou d’Almodovar, L’S.K.B.L. Cie invente avec « le Sexe faible ? » son cabaret punk et surréaliste. Rompu le carcan des genres, en éclat donc celui de l’idéal féminin ! La friction des notes et des mots, de l’utopie et du rêve, des cris et des chuchotements créent ici une proposition forte, souvent dérangeante.
Difficile de définir la forme du Sexe faible ?. On chante, on joue. L’une se contorsionne, tous jouent d’un instrument. S’il fallait absolument classer, on penserait au cabaret, c’est-à-dire justement à l’une des formes de spectacle les plus désinhibées et les plus polymorphes. On retrouve en effet l’alternance entre les solos et les tableaux, le jeu frontal au plus près du public, les poses, la composante musicale.
Encore faudrait-il alors pointer les spécificités de ce cabaret : punk, littéraire, sans trame narrative, surtout. Car il ne s’agit pas de se laisser bercer par une histoire : c’est de nous aujourd’hui qu’on cause ! Pas de fil directeur : le plateau devient territoire du rêve. Par là, il révèle une autre logique : celle des mots rentrés et couvés ou celle des fantasmes. D’ailleurs, le beau travail sur la lumière de François Cacic et Vincent Urbani nous plonge dans une pénombre traversée de fulgurances. On songe d’autant plus au surréalisme que le texte du spectacle est fait de bribes, et que ces fragments hétérogènes jouent ou jurent ensemble.
En vrac, voici convoqués à côté des crétineries de magazines « féminins » et des petits précis à l’usage des épouses, Virginia Woolf, Virginie Despentes, Jean Eustache, Marguerite Duras, Grisélidis Réal, ou Pierre Louÿs : des femmes comme des hommes, des gens de lettres comme une putain lettrée, des anonymes comme des grands noms, dans le vertige d’un mélange sans hiérarchie. En outre, les mots se chevauchent, la voix off trahit ce que l’on dit au plateau, les notes introduisent des discordances avec les mots. Le plateau en est comme contaminé puisqu’il perd lui aussi son unité grâce à des estrades sur roulettes.
Le mal des mots
Or tous ces choix déconcertants ne sont pas gratuits. Ce que propose L’S.K.B.L. Cie, c’est de briser un miroir qui renvoie une image intenable de la femme, de faire exploser des discours et des diktats castrateurs. Plus exactement, il s’agit de sortir de l’alternative entre la maman et la putain, la Sainte Vierge et Pandore. Dans des saynètes saisissantes, la compagnie renvoie ainsi dos à dos les deux modèles et montre qu’il ne s’agit que d’idoles sans vie, adulées et mortifères. La putain y gagne sa voix au chapitre. La mère, elle, obtient le droit de gueuler sa peur, sa fatigue, son horreur. En définitive, la compagnie montre que le « beau mal » (décrite ainsi par Hésiode) n’est pas la femme, mais plutôt les discours que l’on porte sur elle.
Évidemment, ça ne peut pas être lisse. On gueule et on chuchote, on parle de sexe, d’infanticide, de viol. Loin de l’image d’Épinal de la mère épanouie, on évoque les trois-huit de la prolétaire du foyer. En fait, le spectacle est à l’image des femmes dont il parle, ces « exclues du marché de la bonne meuf » *, celles qu’on dit « trop agressives, trop bruyantes ». Avec Pandore, sont apparues la naissance et la mort, la souffrance ; elles se retrouvent donc logiquement sur le plateau, en rouge et noir.
Talons aiguilles !
Mais si ce n’est pas « du joli et joli », cela ne signifie pas que le spectacle n’ait pas sa beauté violente, celle des revues de drag-queens : avec leurs paillettes et leur audace chromatique. La violence ne signifie pas non plus la caricature. Si les femmes ne sont pas des saintes, ni des putes, les hommes ne sont pas des bourreaux. Le discours sur les genres exerce aussi sa violence sur eux. D’ailleurs, hommes et femmes partagent le plateau. Ce sont des êtres humains qui échappent aux classifications de genre, d’âge. Ils forment un beau monde interlope qui fait grimacer les chromos, une troupe engagée et créative, touchante enfin. ¶
Laura Plas
* Citation de King Kong Théorie, de Virginie Despentes.
le Sexe faible ?, de Heidi Brouzeng
À partir de textes de Virginie Despentes, Marguerite Duras, Jean Eustache, Pierre Louÿs, Alina Reyes, Grisélidis Réal, Séverine Wuttke
Cie L’S.K.B.L. • R.O., avenue de Lorraine • 57190 Florange
03 82 58 89 70
Courriel de la compagnie : info@escabelle.com
Site de la compagnie : www.escabelle.com
Direction artistique : Heidi Brouzeng
Mise en scène : Lionel Parlier
Avec : Marie-Charlotte Biais, Heidi Brouzeng, Manuel Étienne, Bernadette Ladener, Bérangère Maximin, Hugues Reinert
Collaboration à la dramaturgie : Séverine Wuttke
Musique : L’S.K.B.L.
Compositions électroacoustiques : Bérangère Maximin
Lumières : François Cacic et Vincent Urbani
Son : François Cacic
Costumes : Julie Lance
Construction, peintures : Paulo et Joeb
Photo : © Arno Hussenot
L’Échangeur • 59, avenue du Général-de-Gaulle • 93170 Bagnolet
Réservations : 01 43 62 71 20
Site du théâtre : www.lechangeur.org
Courriel du théâtre : info@lechangeur.org
Du 6 au 15 octobre 2012, du lundi au samedi à 20 h 30 et le dimanche à 17 heures, relâche le 10 octobre 2012
Durée : 1 h 10
13 € | 10 €