Un temps pour comprendre, un temps pour aimer
Par Victorien Robert
Les Trois Coups
Botho Strauss, quoique méconnu du grand public, est l’un des auteurs allemands les plus joués à travers le monde. Les textes qu’il a écrits sont puissants mais complexes. C’est ce qui transpire d’ailleurs du travail de la Charmante Compagnie : un univers particulièrement intéressant, mais trop obscur pour être apprécié à sa juste valeur.
C’est peut-être un défaut de jeunesse. Ou bien alors ce sont des convictions artistiques sans concession. Mais, disons-le tout net, le Temps et la Chambre est un spectacle très exigeant, et ce, pour de multiples raisons. En premier lieu, le registre de langage utilisé par Botho Strauss et l’imaginaire qu’il engendre sont, certes, une matière de travail illimitée pour un comédien, mais ils ne permettent pas pour autant au spectateur de théâtre d’y avoir pleinement accès. Il faut alors laisser libre cours à la poésie du texte et accepter qu’on ne comprenne pas tout ce qui se produit sur scène.
Que s’y passe-t-il, d’ailleurs ? Tout part d’un appartement, depuis la fenêtre duquel deux amis, Julius et Olaf, observent le monde extérieur. Des personnages surviennent, se rencontrent, et envahissent peu à peu la chambre dans laquelle se trouvent les deux hommes, pour finalement perturber leur amitié et les pousser à se séparer. En fait, le Temps et la Chambre est une œuvre étrange parce qu’elle convoque un univers très onirique, aux antipodes de toute forme de cohérence. C’est donc à la mise en scène que revient la lourde tâche, soit d’assumer cette étrangeté, soit de la mettre en forme pour la rendre plus accessible.
Une certaine langueur
Marie‑Christine Mazzola semble avoir opté pour la première option en prenant à bras‑le‑corps l’opacité du texte et du contexte et en essayant, grâce à une scénographie très dépouillée mais aussi très précise, de donner davantage de respiration à ce spectacle. Les objets y sont en effet figurés, la chambre délimitée par un trait au sol : tout est fait pour que le décor ne perturbe pas le spectateur. Il manque néanmoins à cette mise en scène un peu plus d’allant, une touche d’énergie et de liant entre les scènes, qui aurait permis à la pièce de suivre la dynamique de tous ces personnages qui se croisent, se rencontrent, se reconnaissent, s’entrechoquent et s’oublient. Au lieu de cela, on tombe parfois dans une certaine langueur, comme si le texte nous prenait tous, comédiens et spectateurs, au piège de son arythmie.
Malgré tout, le travail réalisé est fort intéressant, sans doute encore en gestation, mais porté avec talent par l’ensemble des acteurs. Ce spectacle respire le théâtre, au sens où l’on ressent qu’il est le fruit d’une ambition et d’un enthousiasme collectifs, loin des poussées d’individualisme qui sont souvent l’apanage des jeunes comédiens. Ici, chacun assume son personnage et l’imaginaire qui en découle. Le Temps et la Chambre repose sur une grande qualité : tous ont accepté les codes de jeu de la mise en scène et ont travaillé dans ce sens, ce qui donne une grande consistance au spectacle.
Finalement, si l’on relit la note d’intention de mise en scène, l’objectif de Marie‑Christine Mazzola était d’insister sur les relations humaines, la cruauté de la séparation et les affres de la solitude. Ce contrat n’est pas pleinement rempli parce que l’on sort de la salle déçu de n’avoir pas eu plus de prise sur ce qu’on vient de voir. Pour autant, quelques heures plus tard, il reste une sensation très forte de lien avec les personnages. Comme si le fait de les avoir accompagnés quelques instants nous avait rendus plus vulnérables. Un spectacle difficile, donc, mais qui ne laisse pas insensible, et pour lequel l’épreuve du temps ne pourra qu’être bénéfique. Une occasion que ne manquera pas de saisir la Charmante Compagnie dans le cadre du festival Pleins feux sur la jeune création, du 19 au 23 janvier 2011 au Théâtre de l’Opprimé. ¶
Victorien Robert
le Temps et la Chambre, de Botho Strauss
Texte disponible aux éditions de l’Arche
La Charmante Compagnie et la Fabrique M.C.11 • 11, rue Bara • 93100 Montreuil
06 14 48 60 07
Courriel de la compagnie : ducheminsophie@gmail.com
Mise en scène : Marie‑Christine Mazzola
Assistante à la mise en scène : Clémence Laboureau
Avec : Laura Balzagette, Flavien Cornilleau, Fabien Floris, Bruno Galibert, David Gérard, Ludovic Lamaud, Sarah Leck, Marion Lécrivain, Henri Nlend
Scénographie : Camille Duchemin
Lumière et régie : Jean‑Christophe Ménard
Son : Lucas Barbier
Assistante régie : Anne Charrier
Photo : © D.R.
La Fabrique M.C.11 • 11, rue Bara • 93100 Montreuil
Réservations : 01 74 21 74 22
Site : http://lafabriquemc11.over-blog.com
Du 13 au 17 octobre 2010, du mercredi au samedi à 20 heures, le dimanche à 17 heures
Durée : 1 h 30
19 € | 12 €