Louise endormie
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
Que signifie la mort du père pour une petite fille ? La compagnie Les Ailes de Clarence s’empare avec une grande finesse de ce sujet délicat et signe un spectacle embarquant grands et petits dans une nuit de rêves.
Dans sa chambre, Louise, 8 ans, tarde à aller se coucher, malgré les rappels à l’ordre de sa maman. Allongée au sol, à moitié sous son lit, elle joue sur un piano d’enfant, avant de s’emparer du journal intime commencé le jour de ses 6 ans. Les cadeaux, les recommandations de papa, le journal s’arrête là. « Dommage ! », commente-t-elle, « Ça commençait bien ! » Une lettre s’échappe du carnet. Celle du père décédé peu après, qu’elle lit tout haut.
La voix du père vient se joindre à celle de sa fille. Ensemble, ils dévoilent ses tendres regrets, non sur la mort elle-même, mais sur les manques qu’elle a provoqués : ne pas voir grandir sa fille, rater entrée au collège ou spectacles de fin d’année. Toute à sa frénésie, Louise commente et argumente. La lecture devient dialogue. Papa fait son apparition : « Mais elle n’est pas un peu jeune pour avoir un amoureux ? », interroge-t-il à propos de la meilleure amie.
Rêver ensemble
Dès lors père et fille embarquent ensemble pour vivre leurs grands rêves. Ils feront des voyages fous et débattront de tout. L’espace de quelques heures, la vie est à eux. Ils referont leur monde, donneront libre cours à leurs émotions et leurs questionnements. Deux points de vue se confrontent, car, malgré son jeune âge, Louise sait tout, ou presque. Les nombreux livres de sa chambre ont creusé sa réflexion et développé son imagination. Elle connaît le mot « ténébreux », la première phrase de l’homme sur la lune, évoque la grande muraille de Chine et le Machu Picchu.
Avec tact et délicatesse, le père revient prendre sa main pour ce beau périple nocturne. À nous l’aventure, osons, vivons, soyons libres : je protège. Comment résister à un tel message ! Il entraîne Louise dans les flots de l’Atlantique, Capitaine Haddock et moussaillon sur un bateau-lit ; elle s’improvise guide de la statue de la Liberté – Madame LA guide -, corrige-t-elle avec véhémence ; ils se régalent de guimauves grillées, deux gosses le temps d’un instant. Mais papa veille, et recouvre d’une couverture Louise endormie sous les étoiles, bercée par la poésie de Victor Hugo.
Une profonde complicité
Camille Demoures est Louise. Gestuelle enfantine, elle campe avec charme cette fillette drôle, au bagou peu commun. La comédienne montre une enfant vive comme la joie, qui suit son petit bonhomme de chemin avec une certaine espièglerie. David Nathanson de son côté est tout en naturel et simplicité, voix douce, présence rassurante. Elle est feu follet ; il est tranquillement là. Ce duo complice père-fille fait rêver, c’est le cas de le dire. Il envoie aux enfants l’image d’un amour au-delà la mort, gommant ainsi le chagrin d’une absence trop radicale.
Au cours de la nuit, Louise apprend qu’on n’a pas peur la nuit au fond des bois, qu’il faut braver le trac et que la musique calme bien des tempêtes. Papa apprend qu’on peut rire de tout, que sa fille ne veut plus de surnom, et que le temps ne leur est pas compté : « Je suis toute jeune, et toi t’es mort, alors on a tout le temps ! ». « Ah oui c’est vrai » concède-t-il. Louise, le bon sens d’une petite fille dégourdie, ramène son père à la réalité. La vraie liberté, elle l’a bien comprise. Une des belles idées du spectacle.
Élégance
Comme toujours, la cie Les Ailes de Clarence propose une scénographie soignée. Le décor de la chambre de Louise est un joli petit cabinet de curiosités aussi riche que le monde intérieur de l’enfant. Le bateau pour l’Atlantique est efficacement imagé par un drap hissé en voile, la grosse couette blanche dissimule un clavier sur le côté du lit, et, en position centrale, la lampe de chevet en forme de globe terrestre en dit long sur les envies de Louise, voyageuse avant l’heure.
La musique en direct est un élément précieux du spectacle. Camille Demoures et David Nathanson chantent et jouent piano, guitare, et violoncelle. Les compositions originales d’Oldelaf et Solal Meschares offrent de vrais moments d’émotions, souvent de franche gaité, père et fille réunis dans une intimité resserrée autour des mêmes mots. La scène du Carnegie Hall, avec son duo piano violoncelle, est d’une douceur infinie. Schumann ici, quelle belle idée ! L’instant est suspendu.
Papa en apesanteur
Nous nous demandons comment papa va repartir. Une destination ultime, la lune, permet l’évocation de l’apesanteur et de la légèreté. Au père, mort, qui pourrait s’envoler, l’enfant s’agrippe. Pourtant, la nuit finissant, la petite fille salue d’un « à bientôt » sans tristesse, ce Papa qui retire casque et tenue de cosmonaute, avant de se retirer sur la pointe des pieds. L’aurore pointe. Retour dans la chambre. Louise peut commencer sa journée. Heureuse. La mort n’empêche pas la présence dans les souvenirs. On ne peut mieux le faire comprendre aux enfants.
Merci pour ce message sensible et délicat. À voir aussi (au Théâtre du Balcon), Muette, qui montre Louise adolescente. 🔴
Florence Douroux
L’Écorce des rêves, de David Nathanson
Les Ailes de Clarence
Mise en scène : David Nathanson
Avec : Camille Demoures et David Nathanson
Durée : 1 heure
Dès 5 ans
La Scierie • 15, bd du quai St-Lazare • 84000 Avignon
Du 3 au 21 juillet 2024 (sauf les 8 et 15), à 14 heures
De 8 € à 15 €
Réservations : 04 84 51 09 11 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Truffaut-Correspondance », de la cie Les Ailes de Clarence, par Florence Douroux
Photos : © Lélia Demoisy