« Truffaut-Correspondance », cie Les Ailes de Clarence, Théâtre Transversal, Festival Off Avignon

Correspondance-Truffaut-Cie-Les-AIles-De-Clarence©Lucas-Lomazzi

Heureuses retrouvailles !

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

En s’emparant d’extraits de la longue correspondance de François Truffaut, la compagnie Les Ailes de Clarence signe un vibrant portrait de l’immense cinéaste auteur. Un duo piano-voix de grande élégance autour de cette figure majeure de la Nouvelle Vague du cinéma français.

C’est tout un monde que le spectateur découvre en prenant place. Un piano droit intégré dans une grande table d’allure sobre, façon tréteaux, un fauteuil année 70, une table basse, une lampe, beaucoup de livres. Sur un écran suspendu, diffusés en plan serré et en direct, les éléments visuels et iconographiques étalés sur la table sont filmés grâce à une caméra dissimulée dans le pied de lampe. Cahiers du Cinéma, affiche du cinéma Palace, manuscrits, photos. « Tu crois que Jim m’aime ? » : la voix de Jeanne Moreau nous embarque. L’univers Truffaut est installé. Nous aussi, déjà heureux de cette entrée en matière, qui, avec beaucoup d’élégance, nous fait cette belle proposition : redécouvrir François Truffaut par le biais de sa formidable correspondance.

Le « hasard » a bien fait les choses. Pour ses seize ans, David Nathanson reçoit un livre volumineux sur la correspondance de François Truffaut. L’ouvrage ne quitte quasiment plus son chevet. Bien des années plus tard, lors d’une carte blanche pour une lecture, il choisit certaines de ces lettres, convaincu de leur force, de leur drôlerie, de leur qualité littéraire : de leur intérêt, tout simplement. Il a raison. Cette lecture deviendra spectacle. Celui-ci. Entre ses mains, le recueil trace une bien jolie route.

« Le portrait d’une époque révolue tirant un fil entre l’enfance de mes parents et la mienne, m’a fasciné, autant que le portrait d’un homme laissant transparaître au fil des lignes une élégance discrète alliée à une rigueur de tous les instants » explique-t-il. « Ce qui me passionne toujours, c’est une radicalité tranquille, une intransigeance artistique mâtinée d’une immense générosité ». Passion en effet, conviction et sincérité : cela se voit et s’entend dans le jeu du comédien. Il vient, avec beaucoup de respect, donner vie à cette correspondance, sans jamais emprunter l’artifice du mimétisme.

De coups de cœur en coups de gueule

Dans le choix de ces lettres, on y devine par petites touches l’homme et ses emballements, ses indignations, ses émotions. Enthousiaste avec Louis Malle, affectueux avec Alain Souchon, drôle avec ses filles, protocolaire avec Alain Peyrefitte. Et toujours cette redoutable franchise : « Ayant relu Du côté de chez Swann, il est devenu évident que je ne devais pas toucher à cela (…). Ma conviction était que seul un charcutier accepterait de mettre en scène le salon Verdurin et j’ai appris que (…) vous aviez justement fait appel à un charcutier, René Clément, lequel donnant une nouvelle preuve de la vulgarité effrontée qui est la sienne, a sauté sur l’occasion aussi sec. La lettre d’insultes à Jean-Luc Godard est inoubliable. Et bien sûr, longuement évoquée, l’enfance dramatiquement solitaire, heureusement peuplée de livres.

Truffaut-Correspondance- cie-Les-Ailes-de-Clarence © Lucas-Lomazzi
© Lucas Lomazzi

David Nathanson est merveilleusement accompagné au piano, dans une partition où l’on reconnait quelques thèmes musicaux des films de Truffaut, où l’on se régale des petites notes devenues cultes, qui viennent chanter ces Rencontres du troisième type. Cette présence musicale est une seconde voix : un dialogue est noué, où chacun, à l’écoute de l’autre, est au rendez-vous des notes et des mots. Doublement portée dans cette belle complicité, la voix et la personnalité de François Truffaut semblent habiter le lieu. Heureux ceux qui participent à ces retrouvailles !

On peut ne pas avoir vu Les Quatre Cents Coups, ni La Nuit Américaine, ne pas connaître Jean-Pierre Léaud / Antoine Doinel et ignorer l’histoire de Jules etJim : peu importe. Ce que nous montre si bien David Nathanson, c’est un homme et son époque, pas si lointaine : voici jeté le pont indispensable entre deux générations, voire trois. Ce spectacle intelligent est rassembleur. Il ramène jusqu’à nous, si toutefois nous l’avions oublié, un monde d’hier qui a compté.

François Truffaut a ajouté une pierre fondamentale à notre cinéma d’auteur. En choisissant de jouer sa correspondance, David Nathanson et la compagnie Les Ailes de Clarence nous offrent une grande chance : celle de pouvoir, l’espace d’une heure, embrasser la littérature, le cinéma, la musique et le spectacle vivant, autour de l’évocation d’un homme passionnant. Un livre a fait le job, ils le poursuivent de la plus merveilleuse des façons, en nous le transmettant, sur scène. Bravo ! 🔴

Florence Douroux


Truffaut-Correspondance, de la cie Les Ailes de Clarence

Le texte est publié chez Hatier (indisponible, sauf d’occasion chez des revendeurs)
Correspondance avec des écrivains : 1948-1984, de François Truffaut, est édité aux éditions Gallimard, Hors-série Connaissance
Site de la compagnie
Mise en scène : Judith d’Aleazzo et David Nathanson
Avec : David Nathanson (jeu) et Antoine Ouvrard (piano)
Scénographie : Samuel Poncet
Lumière : Julie Lola Lantéri et Erwan Temple
Régie son : Ananda Cherer ou Nicolas Poirier
Durée : 1 h 15

Théâtre Transversal • 10 rue d’Amphoux • 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2022 (relâche les mercredi 13 et 20 juillet) à 14 h 20
De 11 € à 16 €
Réservations : 04 90 86 17 12 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 30 juillet 2022
Plus d’infos ici
Écouter l’interview de Bernard Bastide ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Le Transversal, lieu de partage et de découverte, par Léna Martinelli

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