Théâtres sensibles
ou sans cibles ?
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Retour sur la manifestation dédiée aux écritures théâtrales pour l’enfance et la jeunesse conçue et organisée par le Théâtre Nouvelle Génération à Lyon. Au menu, quelques tables rondes, copieuses, mais pas forcément roboratives, consacrées à des questions qui agitent aujourd’hui le théâtre pour les jeunes spectateurs.
Des trois que nous avons pu suivre, retenons d’abord celle qui cherchait à savoir si le théâtre destiné au jeune public avait une identité dans le répertoire de la scène contemporaine. La réponse paraît plutôt encourageante. Selon Catherine Allioud-Nicolas, universitaire et dramaturge, six facteurs principaux permettent de légitimer le fait que la création dramatique en direction des enfants et adolescents a pleinement sa place aujourd’hui. Elle fait l’objet de nombreuses publications, donne lieu à de fréquents montages, voit renaître l’intérêt de nouveaux chercheurs, sert de matériau à de multiples colloques, motive la mise en place de comités de lecture (qui, à l’occasion, distribuent des prix) et s’affiche sur une liste officielle de textes à lire sélectionnés par le ministère de l’Éducation nationale.
Une deuxième table ronde réunissant quelques représentants de maisons d’édition est venue en quelque sorte confirmer le contenu de la première. S’interrogeant sur ce qui définit une ligne éditoriale pour le jeune public, les participants ont exposé leur attention toute particulière à la qualité de la langue, de la forme, et d’un contenu échappant au didactisme. Ils ont aussi affirmé leur vigilance pour que, dans leurs publications, ne soient pas confondues simplicité, parfois nécessaire, et simplification, envie de donner du plaisir et démagogie. Tous ont naturellement, et fort justement, souligné le rôle joué par la lecture d’un texte de théâtre qui peut enrichir les choix proposés aux jeunes lecteurs avant qu’ils n’assistent à sa représentation.
La troisième table ronde entendait réfléchir sur les sujets sensibles dans le théâtre pour l’enfance et la jeunesse. Passionnante question a priori. Les nouvelles générations partagent le même monde que leurs aînés. Elles sont confrontées comme eux à la montée des extrémismes, au retour de la censure et de l’autocensure, au prêt-à-porter politiquement correct, à la déferlante du divertissement, à la violence, au sexisme, à l’addiction…
Un certain cafouillage
Subtilement engagés par Pascale Mignon, psychanalyste, qui fit remarquer qu’il est important de distinguer « sujet » et thématique, les débats ont donné lieu à un certain cafouillage. Maladroits apprentis sociologues, les intervenants ont souvent confondu sujets sensibles et quartiers sensibles ! D’où un enlisement dans une discussion erratique où, de façon manichéenne, s’opposait « le côté soufre et l’intranquillité du théâtre » aux « chemins de la confiance, de la lumière et de la révélation ». C’est peu dire l’état de sidération dans lequel plonge un tel débat. Absents de cette table ronde – pourquoi ? –, les auteurs auraient été les bienvenus pour réaffirmer la force de leurs choix d’écriture et l’exigence de leur engagement. Merci quand même à Simon Grangeat, membre du jury de Lectures sur un plateau et de l’association Co-lecteurEs, d’avoir opportunément rappelé l’intérêt des jeunes pour les pièces de théâtre, dont les thématiques courageuses, loin de la bien-pensance, les aident à grandir, à réfléchir et à s’inventer un avenir possible.
Revenons pour finir sur le travail inlassable des éditeurs. Leur soutien à la création dramatique est indispensable. Sabine Chevallier des éditions Espaces 34, Françoise du Chaxel des éditions Théâtrales, Émile Lansman de Lansman éditeur et Claire Stavaux de L’Arche éditeur n’hésitent pas à aborder les sujets sensibles. Le théâtre sans cibles les intéresse peu. La Belle Saison du ministère de la Culture et ses chantres devraient au moins se souvenir que l’économie fragile de l’édition a besoin d’un soutien vital. D’autant plus qu’il était question ici de donner aux spectateurs en devenir le goût du théâtre. ¶
Michel Dieuaide
Lectures sur un plateau
Théâtre Nouvelle Génération • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Tél. 04 72 53 15 15