« Les Enfants Éblouis », de Yan Allegret, l’Échangeur à Bagnolet

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Lumineux Yann Collette 

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Dans un seul en scène dédié aux vieillards confinés, le comédien force le respect par la puissance de son incarnation.

Je me souvenais de Yann Collette dans Le Bossu de Philippe de Broca, comédie romantique en costumes. Il était Peyrolles, l’affreux de service, le héros négatif, le contrepoids, le contrepoint à la distribution ultra glamour de ce film de cape et d’épée, probablement le personnage le plus intéressant de l’histoire. Le voici en homme sénile tripotant ses souvenirs comme on titille un variateur électrique quand on n’a plus rien d’autre à faire de ses journées. Fragile et joyeux : l’exact contraire de Peyrolles.

La polyvalence d’un comédien est une forme de virtuosité. Dans le cas présent, l’interprétation est si convaincante qu’elle continue à vous habiter dans les heures et les jours qui suivent le spectacle. Comme une sensation d’impact lumineux fiché au fond de la rétine quand on a regardé la lumière en face.

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© Jean-Rémy Moulona

Pour traiter le sujet, combien actuel, de l’isolement et de la réclusion (en chambre de long séjour, en soins palliatifs, en EHPAD, l’histoire ne le dit pas), l’auteur et metteur en scène Yan Allegret a tout organisé autour du clair-obscur. Le titre de la pièce, d’abord, nous met sur la voie. Des « enfants éblouis » s’évadent de la pièce où le protagoniste est enfermé, à l’ombre de sa fin de vie. Dehors, à la pleine lumière du jour, ses souvenirs continuent à mener leur existence autonome. Lui n’est plus perfusé que par la déprimante croissance et décroissance de la lueur en chambre

Une journée rythmée 

Avec le soleil, l’eau est le second paramètre permettant d’horodater cette existence réduite au minimum. De la douche du matin aux giclées jetées par le personnage à la face des êtres revenus du fond de sa mémoire, toute une chronologie des ablutions quotidiennes permet d’éviter les poncifs du tic-tac et du balancier souvent associés à la vieillesse (dans le poème « l’Horloge » de Baudelaire ou la « pendule au salon qui dit oui qui dit non » de Brel). À la mécanique de la montre, Yan Allegret préfère la fluidité de la clepsydre et du cadran solaire. La régie lumière de Philippe Davesne mérite d’ailleurs d’être saluée.

Tout glisse, tout fuite, tout suinte et tout se colore, puis se décolore au fil des « sept moments d’une même journée » choisis par l’auteur. Le cadre narratif devient soluble dans un écoulement continu. Et par-dessus le flux de mots, la légèreté du comédien a le timbre vaguement inquiétant de la jovialité décrite par les gériatres, comme une possible séquelle de lésion au lobe frontal du cerveau.

Dans un théâtre fermé, dans une ville confinée, dans un monde pétrifié, ce fut un moment fort que cette représentation à huis clos devant très peu de témoins (presse et pro), en lieu et place de ce qui aurait dû être une création. Le lendemain, l’auteur donnait à entendre, pour quelques collaborateurs, une lecture de l’étonnant Jeanne, monologue d’une femme terrassée par l’impossibilité soudaine de continuer à mener sa vie en société. Personne ne connaît encore les séquelles du Covid-19. Mais les dommages collatéraux de la distanciation sociale, eux, seront terribles : paranoïa, repli sur soi, soliloque, troubles autistiques… Yan Allegret est un bon clinicien de ces pathologies promises à un bel avenir. 

Élisabeth Hennebert


Les Enfants Éblouis, de Yan Allegret

Le texte est édité chez Quidam Éditeur

Compagnie (&) So Weiter

Mise en scène : Yan Allegret

Avec : Yann Collette

Lumières et scénographie : Philippe Davesne, Yan Allegret

Création sonore et musicale : Yann Féry

Collaboration artistique : Ziza Pillot

Durée : 1 h 10

Dès 14 ans

Théâtre l’Échangeur • 59 avenue du Général De Gaulle • 93170 Bagnolet

Création publique annulée le 2 novembre 2020 et reportée


À découvrir sur Les Trois Coups :

Souterrain blues, de Peter Handke, avec Yann Collette, critique de Cédric Enjalbert

☛ La Double Mort de l’horloger, d’après Ödön von Horváth, avec Yann Collette, critique de Maud Sérusclat-Natale

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