Fenêtres ouvertes sur rêves à la dérive
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Au centre de Saint-Denis se dresse le Théâtre Gérard-Philipe (T.G.P.), aussi beau que les Bouffes du Nord. Au début de ce printemps, on y découvre « Villes », un festival coloré, aux facettes multiples. Au cœur de « Villes », surgit une île, un nouveau territoire dévoilé dans le noir par Michel Laubu et l’équipe du Turak. « Les Fenêtres éclairées » est une île de beauté mélancolique qui flotte dans le rêve, au risque de dériver.
Il était une fois, il y a déjà vingt‑cinq ans, un homme qui inventa la Turakie, terre d’imaginaire (étiquetée parfois pour les besoins des hommes comme « théâtre d’objets »). Comme cet homme aimait explorer un thème sans l’abandonner, aimait le décliner, voire le transformer (comme les objets), il aborda plusieurs fois des histoires de pingouins en Turakie et puis, plus tard, des histoires d’îles.
Ainsi, aujourd’hui, pour souffler ses vingt‑cinq bougies, la Turakie allume de petites lumières derrière des fenêtres sur une nouvelle île. Sur cette île, il y a une maison qui occupe d’abord tout l’espace de la scène. Et dans cette maison, il y a un homme. Il est seul : lui aussi est une île. Cet homme, un Pierrot lunaire à collerette désuète que manipule Michel Laubu, vit avec son chat, avec des objets qu’il aime comme des êtres vivants, avec de minuscules êtres vivants qui vivent dissimulés dans des objets. La mer monte, l’espace du dedans avec ces choses et ces êtres est menacé, et l’homme voudrait tant les sauver…
Dans cette trame, on cherchera en vain une histoire. D’ailleurs, le titre du spectacle désigne des choses qui, elles-mêmes, ouvrent sur un lieu clos : c’est un monde intime, quotidien et insolite à la fois. Quand s’ouvre l’écrin de la scène, et quand, peu à peu, ce monde se constitue au début du spectacle sous nos yeux, c’est un beau moment de tendresse et de surprise. En effet, l’éviction de la parole impose le silence, et le silence donne une vraie place aux musiques de Rodolphe Burger et Laurent Vichard. Dans ce silence, la précision de la manipulation, le travail sur les gestes minuscules (une main qui touche une nappe, un visage qui se blottit, de confusion, dans un bras) a aussi ses exigences. Enfin, quand les objets se révèlent acteurs et non accessoires, qu’en chaque élément Michel Laubu pose au sens propre et au sens figuré sa lumière, s’installe une belle attente.
L’inquiétante et hilarante étrangeté des choses
En effet, du quotidien surgit l’insolite. Quotidienne est la radio qui égrène ses nouvelles sur la catastrophe climatique, mais incongrus ses hoquets. Quotidienne, la fiche du Pôle emploi, mais inattendue la manière de la remplir du personnage ; rebelle encore, le répondeur qui se déclenche tout seul et parfois se substitue au ronronnement du chat. Le détournement des objets est beau et suffit à faire le charme du spectacle.
On aurait aimé d’ailleurs que le spectacle ne soit pas tenté par la narration. De fait, quand il commence à raconter une histoire, on a l’impression d’être face à un changement de cap abrupt : les personnages se multiplient, les péripéties aussi… La musique, peut-être ironique, prend des accents de films d’action… sans que l’on sache vraiment où l’on va. Ainsi, le chat prend des allures d’espion, un personnage en toque africaine vocifère en anglais des slogans avant d’utiliser la torture pour convaincre et d’être éliminé par notre Pierrot… Quel imbroglio ! Sans doute, certaines clés sont réservées aux érudits en Turakie… mais on préfère des rêves à la dérive d’une (autre) histoire. ¶
Laura Plas
Les Fenêtres éclairées, de Michel Laubu
Turak Théâtre • 39, rue Champvert • 69005 Lyon
04 72 10 98 05
Site de la compagnie : www.turak-theatre.com
Courriel de la compagnie : turak.theatre@wanadoo.fr
Mise en scène et scénographie : Michel Laubu
En complicité avec avec Emili Hufnagel
Composition musicale : Rodolphe Burger et Laurent Vichard
Avec : Michel Laubu, Frédéric Roudet et Laurent Vichard
Régie-manipulation en alternance : Emili Hufnagel et Marie‑Pierre Pirson
Régie plateau : Priscille Du Manoir
Lumière : Timothy Marozzi
Son : Hélène Kieffer
Construction décors et personnages : Emmeline Beaussier, Charly Frénéa, Priscille Du Manoir, Joseph Paillard
Costumes : Natacha Costechareire
Vidéo : Maximilien Dumesnil
Photos : © Fabien Lainié
Théâtre Gérard-Philipe • 59, boulevard Jules-Guesde • 93200 Saint-Denis
Site du théâtre : www.theatregerardphilippe.com
Réservations : 01 48 13 70 00
Du 24 mars au 3 avril 2011, les lundi, mercredi, jeudi, vendredi à 19 h 30, samedi à 18 heures, dimanche à 16 heures, relâche le mardi
Durée : 1 h 10
20 € | 15 € | 13 € | 11 € | 7 €