« Les Gros patinent bien », de Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan

Les-gros-patinent-bien-Pierre-Guillois-Olivier-Martin-Salvan © Giovanni Cittadini Cesi

Ils cartonnent !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

À mi-chemin entre cabaret et opérette, Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan nous ont concocté une forme originale pour narrer les aventures rocambolesques d’un duo pour le moins décalé. Auréolé d’un Molière du théâtre public (lire notre compte-rendu), « Les Gros patinent bien » qui cartonnait déjà au Rond-Point, où il a été créé avant sa reprise au Théâtre Tristan Bernard, devrait prolonger sa tournée partout en France et au-delà. Tant mieux car c’est irrésistible.

Après Bigre (Molière de la Comédie 2017 ; lire la critique de Jacques Casari) et Opéraporno (lire notre critique), le duo nous invite à un road trip délirant, qui mène ces compères farfelus des plaines du Grand Nord jusqu’au sud. Tout part du récit d’une incroyable épopée, à travers l’Europe et les siècles, d’un homme qui subit la malédiction d’une sirène pêchée par mégarde dans des eaux gelées. Épris, cet acteur échappé de Shakespeare, flanqué de son régisseur, n’hésite pas à parcourir le monde, en patins, à trottinette, à dos de mulet, mais aussi en avion. Dans leurs pérégrinations, ils croisent autochtones et faune locale. Ils subissent aussi moult événements climatiques, dont ils sortent tout juste indemnes. Retrouveront-ils la belle aux écailles ?

Épopée shakespearienne version « cartoons »

Comment donc captiver les publics avec cette histoire à dormir debout, qui plus est, racontée dans un anglais totalement réinventé? Déjà, restituer un semblant de sens. Ensuite, au titre si peu accrocheur, ajouter cabaret de carton, qui traduit bien le génie de ces joyeux lurons. Car, à quoi bon cette quête improbable du grand amour sans feu d’artifice de pacotille ?!

S’inspirant du duo formé par Don Quichotte et son valet Sancho Panza, Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois inversent les rôles. En élégant costume trois pièces, l’acteur imposant reste assis, pendant que son acolyte, filiforme, s’agite autour de lui en maillot de bain, avec des centaines de morceaux de carton, arborant des affichettes maladroitement barbouillées où sont inscrits les pays traversés, les accessoires ou bestioles rencontrées, et manipulant des boîtes découpées à la va-vite.

© Giovanni Cittadini Cesi

En effet, pas une minute à perdre dans cette course effrénée ! Si les acteurs, aux physiques appropriés, déploient une énergie sans commune mesure, saluons au passage le travail des techniciens qui œuvrent dans les coulisses pour une fluidité parfaite de l’ensemble.

Le spectacle regorge de détails croustillants. Il faut être fichtrement inventif pour nous faire entrevoir une aurore boréale joliment grêlée, peupler la scène de pingouins, otarie, mouette et même d’un troupeau de Shutland ! Ce théâtre pauvre, riche d’astuces poétiques et de gags tous plus loufoques les uns que les autres, ouvre en grand les portes de l’imaginaire.

Éloge du presque rien

Un bien bel hommage au théâtre artisanal : du théâtre de tréteaux et… d’écriteaux ! Certes, tous ces cartons évoquent les toiles peintes ou décors en carton pâte. Ils font aussi référence à la surconsommation et donc la mondialisation. Malgré le plateau encombré et la logorrhée incessante, quelques éléments ne passent pas inaperçus : les algues vertes qui prolifèrent en Bretagne, les tomates espagnoles qui poussent pour Noël, ou encore les moulins à vent transformés en éoliennes. Quand les migrants en détresse ne flottent pas, entre les bouteilles à la mer et les bidons remplis d’hydrocarbures…

© Giovanni Cittadini Cesi

Cette quête d’une sirène idéalisée, d’un bonheur factice, fournit donc l’occasion de tirer le signal d’alarme sur des choses ô combien plus graves. Un spectacle non dénué de profondeur, finalement. Quant au rapport de force entre cet acteur et son subordonné, il est évidemment exploité dans la mise en scène, avec des apartés salutaires. On pense à Auguste et le clown blanc, à Laurel et Hardy ou encore les Monty Python. Un contraste efficace qui pointe, au passage, les inégalités et l’absurdité de vies pleines de vides et sans sens. Bien que décalés, Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan sont justes. S’ils débordent d’inventivité et en font des tonnes, n’hésitant pas à être parfois graveleux, ils savent subtilement semer des petites graines. Leur crédo n’est pas vraiment la sobriété heureuse, mais leur éloge du presque rien fait un bien fou. C’est déjà ça. 🔴

Léna Martinelli


Les Gros patinent bien, cabaret de carton, de Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan

Cie Le Fils du Grand Réseau
Avec : Didier Boulle (en alternance avec Jonathan Pinto-Rocha) et Le Gall (en alternance avec Pierre Guillois ou Grégoire Lagrange)
Ingénierie carton : Charlotte Rodière
Durée : 1 h 20
Spectacle déconseillé aux moins de 11 ans

Théâtre Tristan Bernard • 64, rue du Rocher • 75008 Paris

Du 2 février au 13 juillet 2022, mardi et mercredi à 20 heures, vendredi et samedi à 19 heures
De 11 € à 35 €
Réservations : par tel au 01 45 22 08 40, par mail ou en ligne

Tournée :
• Les 3 et 4 mai, Théâtre l’Aire Libre, à Saint-Jacques-de-la-Lande (35)
• Du 7 au 9 mai, Transversales, scène conventionnée cirque Verdun (55)
• Du 12 au 15 mai, Théâtre forum, à Meyrin (Suisse)
• Les 18 et 19 mai, L’Azimut, à Antony (92)
• Les 21 et 22 mai, Scène nationale 61, à Alençon (61)
• Du 27 au 29 mai, La Passerelle scène nationale de Gap (05)
• Les 4 et 5 juin, Printemps des Comédiens, à Montpellier (34)
• Du 10 au 12 juin, Théâtre de poche, à Hédé-Bazouges (35)
• Du 19 au 20 juin, Théâtre de Lorient, CDN (56)
• Du 28 au 29 juin, Festival La Bus, à Pantin et Romainville (93)
• Les 2 et 3 juillet, Châtillon dans la rue, à Châtillon (92)
• Du 19 au 22 juillet, Festival Paris l’Été, à Paris (75)
• Les 28 et 29 juillet, Festival de théâtre de Figeac (46)

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