À pleurer
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Dans cette dernière tragédie ancrée dans la mythologie, Wajdi Mouawad tresse comme à son habitude hier et aujourd’hui, créant des échos et des correspondances. Mais cette fois, la pièce est guindée, empesée, le texte presque grandiloquent malgré quelques perles poétiques de toute beauté.
Œdipe, très âgé, usé, est de retour à Colone, ou plutôt il s’y réfugie puisque son nom seul fait horreur : nul ne veut l’accueillir. Au contraire, il erre, traînant son malheur et sa faute, ne reconnaissant pas de prime abord les contreforts d’Athènes. À ses côtés, Antigone, la sèche Antigone, qui s’est vouée à accompagner ce frère-père jusqu’à la fin. Face à ce duo, un troisième personnage, lui aussi réfugié sur ce tertre, mais venu d’un autre âge, est porteur des drames de la Grèce actuelle : la mort d’un jeune garçon de quinze ans, tombé un soir de manifestation sous les coups de la police, embrase la ville. Ce troisième personnage représente le théâtre, lieu d’accueil d’une parole libre. Il est encore le chœur et s’exprime par le chant.
Quel lien entre ces deux épisodes ? Le fil est ténu en vérité, bien plus que ceux qui unissaient hier et aujourd’hui dans les précédentes tragédies de Wajdi Mouawad. Ce qui est sûr, c’est que le poète aime tisser la métaphore et va user de ce parallèle. Ainsi du rapprochement entre la violence de la Sphynge et celle du F.M.I., violence qui commence par des hurlements et un galimatias que personne ne peut comprendre, car il est fabriqué pour demeurer incompris. Tous deux se nourrissent de chair humaine, tous deux précipitent les jeunes gens vers les enfers. Dommage que cette clé ne nous soit délivrée qu’au bout d’une heure de spectacle !
Ombres grecques
Si ce n’était le texte, il y avait de quoi façonner une histoire véritablement dramatique comme Wajdi Mouawad sait les conter, toute de bruit et de fureur. Hélas, tout se déroule autour du lit d’Œdipe qui trône au milieu du plateau, derrière un rideau de fils dans une lumière rouge qui rend les contours indéfinissables. Les visages restent cachés, et les émotions qu’ils pourraient communiquer ne peuvent parvenir au public. Oui, il faut saluer le superbe travail des lumières de Sébastien Pirmet. Sur le plan esthétique, c’est splendide, et on sent une maîtrise parfaite de la régie. Mais près de deux heures de théâtre d’ombres statiques autour d’un mourant, c’est d’un ennui ! Même la voix magnifique de Jérôme Billy ne réussit pas à nous toucher, jouant une partition attendue et comme déconnectée de toute révélation.
Rien à dire non plus des deux autres comédiens, excellents, Patrick Le Mauff notamment, dans le rôle du vieillard, et Charlotte Farcet qui troue une interprétation tout en retenue d’un épisode de rage inexpliqué. Rien à dire, ils sont bons, mais il ne se passe rien. Ce qui advient ne nous touche pas, étant soigneusement voilé, dissimulé, confiné dans l’obscurité.
En un mot, on ne reconnaît ici ni l’immense talent de l’auteur-metteur en scène, ni sa capacité à nous émouvoir, à nous surprendre, à nous emporter. Tragique, vraiment ! ¶
Trina Mounier
Pour les autres critiques des œuvres de Wajdi Mouawad, cliquez ici.
les Larmes d’Œdipe, de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Wajdi Mouawad
Avec : Jérôme Billy, Charlotte Farcet, Patrick Le Mauff
Assistant à la mise en scène : Alain Roy
Assistant à la mise en scène en tournée : Valérie Nègre
Compositions chantées originales : Jérôme Billy
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Sébastien Pirmet
Musiques originales : Michael Jon Fink
Réalisation sonore : Michel Maurer
Costumes : Emmanuelle Thomas
Son : Jérémie Morizeau
Plateau : Marion Denier et Magid el‑Hassouni
Production : la Colline
Coproduction : Carré de l’hypoténuse-France, Abé Carré Cé Carré-Québec compagnies de création, le Grand T théâtre de Loire-Atlantique, Mons 2015-Capitale européenne de la culture, Mars-Mons arts de la scène, Théâtre Royal de Namur
Avec le soutien de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes et du Château des ducs de Bretagne
La Colline • 15, rue Malte‑Brun • 75020 Paris
01 44 62 52 52
Du 23 mars au 2 avril 2017, du mercredi au samedi à 20 h 30, le mardi à 19 h 30 et le dimanche à 15 h 30
Durée : 1 h 40
De 8 € à 30 €
Le spectacle a été créé le 28 juin 2015 à Mons 2015-Capitale européenne de la culture, dans le cadre de l’intégrale des 7 tragédies de Sophocle.
Des mourants (Inflammation du verbe vivre et les Larmes d’Œdipe, d’après Sophocle)
Tournée :
l’Archipel-scène nationale, Perpignan, du 4 au 6 mai 2017