La somptueuse errance d’Étienne Saglio
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Avec ses complices Raphaël Navarro et Valentine Losseau, Étienne Saglio a conçu « les Limbes » en 2014. Depuis, le spectacle est régulièrement repris tant sa puissance évocatrice reste intacte. Empreint de poésie, il captive par sa beauté et sa créativité débridée. Grandiose !
Nimbées d’une atmosphère étrange, ces limbes captent d’emblée notre attention. Perdu dans un entre-deux, un homme se débat, d’abord contre sa marionnette, puis d’insolites créatures. À moins que ce ne soit ses propres démons ? Revêtu de rouge, ce pantin peu bienveillant se retourne effectivement contre son manipulateur. Qui des deux manœuvre l’autre ? Dans ce monde-là, le bien et le mal, la vie et la mort engagent en tout cas un incessant combat. Tantôt séduisantes, tantôt agressives, ces entités donnent du fil à retordre à ce drôle de dompteur qui erre comme une âme en peine.
Modernité baroque
Énigmatique, le spectacle laisse grande la place à l’imaginaire. Chacun y projette ses angoisses face à la mort, ses deuils, son rapport à l’inconnu. On tente donc de s’accrocher aux signes. Or, les espaces temps s’entrechoquent. Le Stabat Mater de Vivaldi et l’épée nous transportent à une époque lointaine, tandis que le plastique ramène à notre monde actuel.
Chez Étienne Saglio, tout part toujours d’une image. Ses accessoires – ici un masque, un manteau, une lance, une bâche – ont inspiré une fresque sensible et un ballet fantastique. Il jongle avec les matières et les corps. Plutôt que la soie, plus noble, le magicien a préféré le plastique. Léger, le voile s’anime, virevolte, disparaît à l’envie, pour mieux réapparaître. Il pollue. Méduse, baleine, étincelle, spectre… Si les images qui en naissent sont somptueuses, ses pouvoirs maléfiques prennent le dessus. Les états d’âme de cet homme à la dérive peuvent aussi évoquer le dérèglement climatique.
Esthétique et onirisme
Souple, véloce, Étienne Saglio use de malice pour faire face à ces créatures surgies de l’ombre qui cherchent à lui voler la vedette. Et si c’était son double ? Rester dans la lumière – de l’au-delà, de la vie, de la création – fait partie des enjeux. D’ailleurs, l’artiste brille par ses innombrables talents : éminent représentant de la magie nouvelle, il croise les disciplines, s’avère un excellent interprète, tant dans le mouvement que les attitudes. Dresseur de fantômes (lire la critique du Soir des monstres, par Lise Facchin), enchanteur de loups (lire la critique du Bruit des loups, par Léna Martinelli), il assure une connexion directe avec nos pulsions refoulées, comme avec le merveilleux.
Et, depuis sa création, la magie opère toujours. Malgré le développement des drones et des hologrammes dans les spectacles, les prouesses techniques fascinent toujours. Certes, on est curieux de comprendre comment tous ces effets optiques fonctionnent. Mais le mystère doit rester entier car le principal réside ailleurs. De cette aura qui émane de chacun de ses spectacles. Peuplé de chimères, cet univers transcende les frontières de la réalité, entre contes et épopées mystiques, pour nous éveiller à l’inanimé. C’est extraordinaire et envoûtant. 🔴
Léna Martinelli
Site de la cie Monstre(s)
Écriture et regard extérieur : Raphaël Navarro
Écriture : Valentine Losseau
Avec : Étienne Saglio
Création lumière : Elsa Revol
Régie lumière : Alexandre Dujardin
Régie plateau : Simon Maurice, Yohann Nayet, Vasil Tasevski (ou Gabriel Saglio)
Régie son : Thomas Watteau
Régie fantôme : Camille Cotineau
Jeu d’acteur : Albin Warette
Composition musicale : Antonio Vivaldi et Jeff Dominges
Costumes : Anna Le Reun
Montage et suivi de production : ay-roop
Durée : 1 heure
Dès 8 ans
Théâtre Silvia Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris
Du 23 novembre au 3 décembre 2023, du mardi au vendredi à 19 h 30, le samedi à 14 h 30 et 18 heures, le dimanche à 15 heures
De 5 € à 26 €
Réservations : 01 56 08 33 88 ou en ligne
Tournée ici :
• Du 14 au 16 décembre, L’Agora, scène nationale d’Évry et de l’Essonne, en partenariat avec le Théâtre de Corbeil-Essonnes (91)
• Les 20 et 21 décembre, Culture Commune, à Lens (62)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ La critique d’Aurore Krol (20 novembre 2014)