Un hommage irrésistible et loufoque à Broadway
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
La comédie musicale délirante de Mel Brooks débarque au Théâtre de Paris, vingt ans après sa création à Broadway. Un spectacle réjouissant à l’humour corrosif mené efficacement par le metteur en scène Alexis Michalik.
Enfin ! Cela faisait un an et demi que les fans de comédies musicales attendaient impatiemment de revoir les strass et les paillettes virevolter dans les airs et d’entendre le bruit des claquettes résonner sur les planches des salles parisiennes. Les plus impatients n’ont pas perdu une minute et ont couru voir la reprise du Roi lion à Mogador. Mais, pour les amateurs de musicals à l’ancienne, c’est bel et bien les Producteurs qu’il faut se précipiter d’aller découvrir en cette fin d’année.
La comédie musicale de Mel Brooks, le plus loufoque des Américains, débarque donc sur la scène du Théâtre de Paris. Il fallait un metteur en scène solide pour s’attaquer à ce monument musical. C’est Alexis Michalik, l’enfant chéri du théâtre français (Edmond, Le Cercle des illusionnistes, Une histoire d’amour…), amateur de comédies musicales, qui s’y colle. Avec succès.
Adapté d’un film de Mel Brooks sorti en 1968 avec le célèbre Gene Wilder, les Producteurs avait fait un tabac à Broadway en 2001, raflant une impressionnante flopée de prix. Le succès fut tel que la comédie musicale fut elle-même adaptée en film. La comédie musicale raconte l’histoire d’un producteur véreux, ancien roi de Broadway qui enchaîne les bides, imagine avec un expert-comptable introverti une arnaque à l’assurance pour devenir riche. Leur idée est simple : monter le pire spectacle de l’Histoire. Pour cela, ils choisissent une pièce plus que douteuse – Des fleurs pour Hitler, spectacle musical hommage au Führer –, engagent le metteur en scène le plus has been qui soit et recrutent le casting le plus improbable possible. Four garanti ! Sauf que, contre toute attente, la formule fonctionne et menace le plan des deux associés…
Une adaptation française très réussie
Le public découvre ici l’œuvre de Mel Brooks – c’est lui qui a composé la musique et écrit les paroles – dans une version 100 % en français, dans les moments dialogués, comme dans les numéros chantés. Signée par Nicolas Engel, en collaboration avec Michalik, l’adaptation du livret est superbe. Les répliques sont cinglantes, les jeux de mots bien trouvés. On y retrouve le charme irrévérencieux qui fait tout le sel du livret initial, adapté avec intelligence au contexte français pour l’occasion : les Tony deviennent les Molière, le théâtre expérimental des quartiers bohèmes de Manhattan est comparé au Off d’Avignon.
Pour son premier spectacle musical, Alexis Michalik s’en sort avec brio, tel un véritable habitué de Broadway. Scènes au rythme endiablé, chorégraphies diablement réussies, gags irrésistibles… Un sans faute ! Néanmoins, on ne peut s’empêcher de remarquer la très grande ressemblance de sa mise en scène avec celle originelle de Broadway, signée Susan Stroman, reprise dans le film. D’une redoutable efficacité, le résultat emporte l’adhésion du public.
Les airs entraînants s’enchaînent sans répit (« Keep it gay », « Der Guten Tag Hop-Clop », « Springtime For Hitler » pour n’en citer que quelques-uns), interprétés par des musiciens en direct. La scène est habillée par d’élégants décors amovibles qui descendent des cintres, nous faisant tour à tour pénétrer sur une scène de théâtre, dans le bureau des producteurs ou encore dans une prison. Les costumes recréent avec efficacité et réalisme l’ambiance, tantôt feutrée, tantôt excentrique, des fifties new-yorkaises.
Des personnages loufoques incarnés par des acteurs truculents
Un soin tout particulier a été porté à la distribution, qui s’avère elle aussi très influencée par le casting originel. Absolument impeccables, les comédiens nous présentent une galerie de personnages tous plus truculents les uns que les autres. Serge Postigo endosse le costume de Max Bialystock, producteur mégalo, cynique et séducteur, auquel il prête son charisme. Face à lui, Benoit Cauden campe Léopold Bloom, l’expert-comptable fils à Maman, ingénu à souhait, un brin bègue et complètement hystérique lorsqu’on touche à son doudou. Sa voix agréable aux aigus gracieux gagne en force au fil de la représentation. Les deux acteurs forment un duo irrésistible, leur voix s’accordant de manière très harmonieuse.
Roxane Le Texier incarne la sulfureuse Ulla Inga Hansen Bensen Yonsen Tallen-Hallen Svaden-Svanson, une Suédoise au physique de pin-up, blonde platine dont la sensualité fait inévitablement penser à Marilyn Monroe. Lorsqu’elle délaisse son faux accent suédois, sa voix se fait ravissante et précise. Régis Vallée régale le public dans le rôle de Franz Liebkind, un ancien nazi bavarois devenu éleveur de pigeons, qui voue toujours un culte à Hitler. Son accent désopilant, mélange de sonorités suisse et allemande, et ses chorégraphies ridicules provoquent l’hilarité du public.
David Eguren prête son beau vibrato et son panache au personnage de Roger de Bris, le metteur en scène du spectacle monté par les producteurs. Il s’amuse à jouer les divas, tel Michel Serrault dans La Cage aux Folles, et interprète un Hitler hilarant qui fait des claquettes ! Dans une veine tout aussi excentrique, Andy Cocq incarne Carmen Ghia, assistant maniéré du metteur en scène. Derrières son expressivité de précieuse ridicule se cache une voix particulièrement agréable. Le casting est complété par une dizaine d’artistes tout aussi méritants : ils passent aisément d’un rôle à l’autre.
C’est un bonheur que de découvrir Les Producteurs dans cette version si réussie – Covid oblige, on n’avait pas vu de spectacle musical si enthousiasmant depuis l’excellent Funny Girl présenté au Théâtre Marigny fin 2019. Alexis Michalik et sa troupe rendent un très bel hommage à Mel Brooks à travers ce spectacle qui, comme il l’avait fait lors de sa création à Broadway, devrait enchanter la critique comme le public. ¶
Maxime Grandgeorge
Les Producteurs, de Mel Brooks
Livret : Mel Brooks et Thomas Meehan, d’après le film éponyme de Mel Brooks
Mise en scène : Alexis Michalik
Avec : Serge Postigo, Benoît Cauden, Régis Vallée, David Eguren, Andy Cocq, Roxane Le Texier
Théâtre de Paris • 15, rue Blanche • 75009 Paris
Jusqu’au 27 février 2022
Durée : 2 h 30
De 25 € à 80 €
Réservations : 01 42 80 01 81 et en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Guys and Dolls », de Frank Loesser, par Maxime Grandgeorge
☛ « Priscilla, folle du désert », de Stephan Elliott et Allan Scott, par Isabelle Jouve
☛ « Edmond », d’Alexis Michalik, par Cédric Enjalbert