« Les Serge (Gainsbourg point barre) », Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux, Comédie-Française, Studio-Théâtre, Paris

Les Serge-(Gainsbourg-point-barre) © Vincent Pontet-coll-Comédie-Française

Couleurs Gainsbourg

Florence Douroux
Les Trois Coups

Il est des spectacles qu’on pourrait voir et revoir parce qu’ils ont un pouvoir affectif. « Les Serge (Gainsbourg point barre) » crée en 2019 au Studio théâtre de la Comédie-Française, est de ceux-là. Une évocation à six de Serge Gainsbourg, en chansons et bribes d’interviews, qui fait apparaître l’homme et l’artiste, facettes et facéties, dans une proposition sans cliché ni appropriation. Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux ont signé une œuvre chorale d’une infinie délicatesse.

Cinq comédiens et une comédienne composent cette évocation intime de Serge Gainsbourg, entre tendresse, poésie, provoc, et cynisme. En solo ou ensemble, ils sont doucement cyniques, sensuels et drôles, avec cette intelligence lucide et acide que personne ne contestera au personnage. Aucun n’est Serge, mais ils le sont tous un peu. Un sextuor est en charge du rôle-titre. Il exprime l’esprit Gainsbourg, en éclosions successives, le temps d’une chanson ou d’une interview. L’homme et sa musique, son ton, son humeur, son humour. Son sens de la répartie.

Par incursions successives, les six nous livrent une singulière présence, comme s’il était là, mais non comme s’ils étaient lui. L’émergence est sans tricherie. « Chacun cherche son Serge », explique Sébastien Pouderoux. C’est dire la franchise et l’humilité de la démarche. Chaussés des fameuses Répetto blanches et enveloppés de volutes de fumée (qui n’ont rien de suspect, autant le dire tout de suite), ils restent Marie, Stéphane, Sébastien, Noam, Yoann et Benjamin. Une bande de copains. C’est le brio de la proposition, plus que jamais Simul et Singulis, devise de la Maison. Mais la plongée dans l’univers Gainsbourg est totale.

Dans l’appartement Gainsbourg

Il y a ce décor qui nous émeut. On reconnaît le salon-studio du 5 bis rue de Verneuil, ses murs noirs, son dallage noir et blanc choisi par le maître des lieux, et même le paravent asiatique. On imagine l’ambiance feutrée et sombre du cocon familial et professionnel un peu mystérieux, à l’abri des regards. L’impression est saisissante : la Comédie-Française joue Gainsbourg chez lui. Avec, petit clin d’œil, quelques choux bien ronds déposés çà et là sur le plateau.

Il règne une atmosphère presque intime, comme si ce lieu, devenu célèbre lui-même, était investi avec un respect tout particulier. Noam Morgensztern engage le propos et donne, par son naturel et son talent au piano, le diapason de la proposition : « Ça fait 15 ans qu’on me demande qui je suis » (…). « Rigueur », « pudeur », « agressivité », « timidité ». Pas de doute, un Serge est ici. Il évoque la présence, sur le Yamaha noir, d’un portrait de Chopin, compositeur omniprésent de sa jeunesse, avec le regard du maître, qu’il imagine sévère, sur chaque mélodie. « Parfaitement dégueulasse » ou « assez jolie ». On sourit, c’est bien lui. Quelques notes bien connues surgissent, celles-là même qui subjuguaient Boris Vian en 1958. Le Poinçonneur des Lilas inaugure une rétrospective captivante, d’une séduction inouïe, que l’on soit ou non fan de Gainsbourg.

Presque une confidence

Interviews et tubes en alternance, parfois entremêlés, la partition composée par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux laisse imaginer la complexité d’une telle recherche. Comment choisir ? Que montrer ? Que faire entendre ? Un travail de longue haleine, et un an de répétitions pour le club des six, qui façonne, semaine après semaine, une œuvre originale, sincère et élégante. Un panorama reflétant l’éclectisme des chansons de Gainsbourg et les grands paradoxes de son tempérament. Se dévoiler, mais pas trop ; répondre aux questions, mais pas trop ; donner, mais pas trop ; « louvoyer sans se montrer ».

L’exercice est exigeant. Il demande de trouver un son, une couleur et une ambiance. Il demande aussi de rendre perceptibles les fulgurances et les échappées d’un être non saisissable, maniant comme personne l’art de l’esquive : « Je ne tiens pas à ce qu’on m’attrape » disait-il. Chacun doit passer des mots parlés à l’instrument et à la chanson, attraper « son » Serge, presqu’au vol, puis le lâcher très vite. Sortir le grand jeu. Ce que la troupe fait si bien. Postures ou intonations, les signes sont précis, parfois furtifs, comme ces gestes de main si familiers qui prolongent une phrase en suspens ou des syllabes traînantes.Toutes les promesses sont tenues. Les comédiens expliquent avoir répété dans un très petit studio : quelque chose d’intime et de précieux en est sorti. Presque une confidence.

Pépites

Quelques dix-sept ou dix-huit grands titres sont interprétés et remixés avec goût (immense bravo aux arrangements de Guillaume Bachelé, Martin Leterme, Vincent Leterme et des Serge). Jouant de plusieurs instruments chacun, ils enchaînent avec virtuosité paroles et musiques, chant, claviers, trombone, clarinette, guitares, batterie. Un formidable concert qui a des allures d’ultime répétition dans une (apparente) décontraction. Des Variations sur Marilou tout en sensualité érotique, à je suis venu te dire que je m’en vais, empreint de nostalgie,ou à l’irrésistible canon, façon Frères Jacques, des Sucettes, chacun trouvera ses pépites personnelles. Nul doute que Baby alone in Babylone, interprétée par Marie Oppert, avec le chœur des garçons, en fera partie. Cadeau du bis.

Comme ils ont dû avoir le trac, lorsque Jane Birkin a répondu présente… En tout cas, ils ont brillamment franchi tous les obstacles du plus averti des regards. « Si vous n’avez pas eu la chance de le connaître, allez voir le spectacle. Vous comprendrez le charme ». Elle avait tout dit. À bon entendeur ! S’il s’achève pour les Parisiens, ce petit bijou de concert part en tournée jusqu’à fin juillet.

Florence Douroux


Comédie-Française
Mise en scène : Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux
Avec la troupe de la Comédie-Française (*en alternance) : Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Yoann Gasiorowski*, Marie Oppert* et en tournée : Axel Auriant*, Rébecca Marder*
Costumes : Magdaléna Calloc’h
Lumières : Éric Dumas
Arrangements musicaux : Guillaume Bachelé, Martin Leterme, Vincent Leterme, les Serge
Son : Théo Jonval
Durée : 1 h 20

Studio-Théâtre • Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli • 75001 Paris
Jusqu’au 9 mars 2025, du mercredi au dimanche à 18 h 30
Tarifs : de 12 € à 26 €
Réservations : Billetterie en ligne • Tel. : 01 44 58 15 15

Tournée :
• Du 19 au 21 mars, Théâtre de Lorient, (56)
• Du 28 au 29 mars, TAP-Scène nationale de Grand Poitiers (86)
• Du 23 au 26 avril, Théâtre national de Nice- La Cuisine (06)
• Le 6 mai, Théâtre La Colonne, à Miramas (13)
• Le 17 mai, Théâtre Théo Argence, à Saint-Priest (69)
• Du 21 au 31 mai (relâche le 26), Les Célestins, Théâtre de Lyon (69)
• Le 28 juin, Théâtre de la mer, dans le cadre de Fernande festival, à Sète (34)
• Le 1er juillet, Scène nationale de Châteauvallon Liberté, à Ollioule (83)
• Le 6 juillet, Eurockéennes de Belfort, à Sermamagny, Presqu’île du Malsaucy (90)
• Le 8 juillet, Citadelle de Besançon (25)
• Du 15 au 27 juillet, La Scala Provence, à Avignon (84)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Le Côté des Guermantes, Comédie-Française, par Lorène de Bonnay
La Nuit des Rois, Comédie-Française, par Lorène de Bonnay

Photos : © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

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