Obscurs dans la nuit solitaire
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
L’Atelier Hors-champ signe une adaptation à la fois très littéraire et suprêmement visuelle du roman de Virginia Woolf.
Six personnages sont réunis autour du souvenir d’un septième, Perceval, décédé dans un accident de cheval. À partir de cette situation se déploient des fragments de monologues intérieurs. Leur dimension littéraire, leur caractère souvent abstrait, l’absence de dialogue entre les personnages, mais aussi la pénombre continue, plongent d’emblée le spectateur dans une ambiance expérimentale, hors du temps. Un temps qu’on craint pour le coup de trouver un poil long…
Pourtant, plusieurs éléments retiennent l’attention. D’abord, le soin extrême apporté aux aspects visuel et sonore. Comme si Pascale Nandillon cherchait à compenser la forme peu théâtrale de son matériau. On peut ainsi parler de fulgurance des images. La mise en scène revêt une dimension picturale, comme avec cette table recouverte de fruits, de feuilles… qui évoque immanquablement une nature morte, puis une vanité. D’autant plus que cette table est lentement et magnifiquement filmée par Frédéric Tétart, le créateur de ce dispositif. Les images, en cadrage resserré, à la fois sensuelles et graves, sont projetées sur un vaste écran à l’arrière du plateau.
Tout au long du spectacle, un soin particulier est ainsi accordé aux lumières. Les visages sont comme sculptés dans la pénombre, et quand les personnages sont réunis autour de la table, on croirait parfois contempler un tableau de Georges de La Tour.
De même, une bande-son impressionniste souligne toutes les tensions du texte, et se conjugue habilement aux lumières. C’est ainsi qu’un passage central, rappelant le voyage fatal de Perceval en Inde, donne lieu à une juxtaposition virtuose de sons et d’images. Pascale Nandillon parvient alors à créer des pics de tension. C’est le cas de ce qui est peut-être le plus beau moment du spectacle, lorsque le personnage de Rhoda (interprété par Aliénor de Mezamat) évoque une soirée à l’opéra. Là, on est vraiment pris aux tripes.
Une poésie à la fois délicate et saisissante
C’est que les images qui font mouche ne sont pas seulement celles qui défilent sur l’écran ou celles, visuelles, engendrées par la mise en scène. Cette beauté, cette force, sont aussi celles des mots de Virginia Woolf, dans une magnifique traduction de Marguerite Yourcenar. En jaillit une poésie à la fois délicate et saisissante : « Les choses frémissent comme si elles s’apprêtaient à naître », dit Rhoda. Ou encore, « Qui peut prévoir la courbe d’un mot une fois lancé ? ».
Ce travail d’orfèvre sur l’image, le texte et le son est le fruit de la collaboration entre Pascale Nandillon et Frédéric Tétart, tous deux rompus aux croisements entre spectacle vivant et arts plastiques, notamment au sein de l’atelier Hors-champ.
Enfin, il faut saluer les comédiens qui donnent tous à entendre ces mots avec un métier très sûr et une façon de dire le texte précise, articulée, expressive et en même temps très maîtrisée.
Étrangement, sur le coup, on est dérouté par ce côté abstrait, récitatif, parfois même on bâille ; mais dans un deuxième temps, on retient surtout la beauté du texte et l’audace de la mise en scène. ¶
Céline Doukhan
les Vagues, d’après le roman de Virginia Woolf
Traduction : Marguerite Yourcenar
http://www.atelierhorschamp.org/
Conception et réalisation : Pascale Nandillon et Frédéric Tétart
Avec : Serge Cartellier, Nouche Jouglet‑Marcus, Jean‑Benoît L’Héritier, Aliénor de Mezamat, Sophie Pernette, Nicolas Thévenot
Lumière : Soraya Sanhaji et Frédéric Tétart
Son : Sébastien Rouiller
Image : Frédéric Tétart
Construction décor : François Fauvel et Frédéric Tétart
Costumes : Odile Crétault
Administration : Charly Bouvet-ATAPA
Photo : © Léo Jouglet Zakri
L’Espal • 60‑62, rue de l’Estérel • 72058 Le Mans cedex 2
Réservations : 02 43 50 21 50
Le 22 novembre 2016 à 20 heures, le 23 novembre à 19 heures
Durée : 1 h 30
23 € | 14 € | 11 € | 9 € | 8 €