(En)chanter la langue des dieux
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Dans son exploration des traditions musicales, le cycle « Divas du monde » accueille la chanteuse grecque Katerina Papadopoulou. Au programme, un parcours des territoires de l’Empire byzantin à travers les siècles.
L’artiste grecque Katerina Papadopoulou explore le domaine du chant traditionnel ou, pour mieux dire, l’ancien répertoire traditionnel d’Asie Mineure. Elle participe notamment avec le musicien espagnol Jordi Savall aux projets Mare Nostrum, Esprit des Balkans, Pèlerinages de l’âme, Orient, Occident et Ibn Battuta. Son nouveau programme, Les Voyages de l’Anastatique, mené avec l’ensemble Anastatica, nous conduit à travers les siècles dans le Dodécanèse, la Macédoine, la Crète, Chypre, Lesbos et même ce qu’on appelait la Grande-Grèce, autrement dit les côtes sud de la péninsule italienne (Campanie, Calabre, Basilicate, Pouilles), auxquelles on ajoute parfois la Sicile.
« Anastatica », équivaut au nom savant de la rose de Jéricho. Cette plante qui se dessèche à maturité présente la particularité de refleurir quand, arrachée et transportée par le vent, elle arrive en milieu humide ou reçoit de l’eau. Elle est une métaphore de la langue grecque, qui résiste dans les chansons à tous les dépaysements.
Chansons d’amour
Le concert commence par un chant d’amour traditionnel du Dodécanèse, un appel à l’aurore : Den ximeronis mavri avyi. Chanté a cappella avec un accompagnement du chœur d’hommes à bouche fermée, il donne le frisson. Katerina Papadopoulou possède une voix douce, qui n’a ni l’étendue, ni la puissance d’une voix d’opéra. Cependant, correctement amplifiée comme c’est le cas, elle met en valeur ce qu’elle interprète.
Près d’un tiers du répertoire est consacré à des chansons d’amour, souvent mélancoliques. Une tonalité qu’on retrouve aussi dans un chant d’exil, Apo xeno topo. Le talent des virtuoses de l’ensemble Anastatica et la variété des instruments pratiqués – oud, laúd (un luth espagnol), kanun, de la famille des cithares, tarhu (un instrument à quatre cordes pincées ou frottées, à manche long avec un corps petit et rond), violoncelle, saz (une sorte de luth turc), flûte, cornemuse et percussions – évitent toute monotonie.
On se régale à voir danser, élégant, rapide et souple, Chariton Charitonidis qui pratique aussi la flûte traditionnelle et la cornemuse. Il rehausse l’apparente simplicité et le raffinement des danses d’origine populaire. Son interprétation de Tromathon, une danse enthousiaste des rives de la mer Noire, comme celle d’une tarantelle qui la suit de près, est particulièrement applaudie. Il faudrait aussi mentionner la vivacité de Vraka, un hymne au shalvar, ce pantalon traditionnel, accompagné par le danseur et la chanteuse à l’aide d’une sorte de castagnettes.
Héritage grec
Comment évoquer le monde grec sans chanter le vin, intimement lié au culte de Dionysos ? Ainsi, dans Ambelokoutsoura des images surgissent, celles de Bacchantes qui s’ébranlent lentement au son d’une grosse caisse jouée à la fois à la mailloche et à la baguette. La pulsation qui s’accroît progressivement serait celle des danseuses qui frappent le sol du pied pour y puiser chaque fois une nouvelle énergie. Quand la cornemuse lancinante fait son entrée, la percussion accélère jusqu’à la transe. Un très beau numéro.
Après un final plutôt joyeux, pour le rappel, Katerina Papadopoulou terminera le concert en chantant une berceuse, genre universel. Organisé en partenariat avec la Maison des cultures du monde, Centre français du patrimoine culturel immatériel, ce concert rappelle à point nommé notre héritage grec, qui ne se limite pas à l’Hellade. ¶
Jean-François Picaut
Les Voyages de l’Anastatique
Avec : Katerina Papadopoulou (chant), Kiriakos Tapakis (oud, laúd), Stefanos Dorbarakis (kanun), Cihan Turkoglu (tarhu, violoncelle, saz), Chariton Charitonidis (flûte, cornemuse, danse) et Manousos Klapakis (percussions)
Photo : « Les Voyages de l’Anastatique » © D.R.
Opéra de Rennes • Place de l’Hôtel de Ville • 35031 Rennes Cedex
Téléphone : 02 23 62 28 28
Mardi 4 avril 2017 à 20 heures
Durée : 1 h 30
26 € | 9 €