De l’utilité d’un texte au théâtre
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Venu d’Ardèche, le Théâtre Pôle Nord s’est taillé une petite réputation, faisant d’un théâtre de plateau, se construisant à partir d’improvisations, souvent muet, sa marque de fabrique. Ce « conte pour adultes à partir de 14 ans » ne nous a pourtant pas convaincus.
Dans une disposition bifrontale, les spectateurs sont rangés le long d’une route droite. D’un côté, une sorte de cabine avec un hublot, un banc ; de l’autre, la route paraît s’enrouler sur elle-même, elle permettra de figurer un bureau, par exemple. Au départ, quelques phrases dans un anglais peu audible ne nous laisseront guère le loisir d’en savoir plus. S’avance un être jeune (l’enfant ?), vêtements indistincts, garçon ou fille, qu’importe, il semble traqué, aux aguets, tout son corps se fait ombre, glissement. On imagine un migrant, un réfugié, un S.D.F., grâce aux situations qui nous sont données à voir : le voici qui dort à même le banc, qui serre contre lui son petit sac, puis qui va tenter de vendre quelques fleurs artificielles, puis qui marche dans les rues, quête, toujours seul, toujours perdu, au milieu du bruit des voitures et des trains…
Le migrant, le cadre et la bête
Puis intervient un deuxième personnage, que nous verrons nu dans sa chambre avant qu’il ne s’habille d’un costume de cadre (est-il l’ogre ?). Lui aussi va aller et venir, serrer des mains, écrire, passer d’un lieu à l’autre. Ces protagonistes ne se croiseront pas sauf dans la scène finale qui semble opposer le pauvre et le riche, ceux qui les représentent en tout cas.
Arrive enfin un troisième personnage, fantastique avec sa queue de rat et son museau écrasé par un élastique. Relations violentes avec l’enfant, puis il disparaît…
Au cours de l’heure et demie que dure le spectacle, nous n’en saurons guère plus. Outre les sons de la ville, nous entendrons la voix splendide et émouvante de Nina Simone… sans vraiment comprendre la raison de ce choix.
Il faut reconnaître à cette jeune troupe une grande habileté à faire surgir les images et à donner une substance à des types si éloignés les uns des autres qu’ils ont peu de chance de se rencontrer, fût-ce au cours d’une agression. Mais pas à créer des personnages qui auraient une vie, un caractère, une histoire auxquels nous raccrocher. Sans texte, difficile de raconter un conte d’où puisse émerger un sens ou une émotion. Or, là où celle-ci pourrait jaillir, elle est assez rapidement gommée par la durée languissante et pour tout dire complaisante de chaque scène qui s’étire et s’étire encore, semblant ne jamais devoir finir. On s’ennuie ferme et la compassion, l’empathie, l’intérêt disparaissent. Élagué d’une bonne demi-heure, le spectacle saurait plus facilement trouver et toucher le public. Car il n’est pas dénué de qualités, mais celles-ci sont par trop diluées. ¶
Trina Mounier
L’Ogre et l’Enfant, du Théâtre Pôle Nord
Conte pour adultes
À partir de 14 ans
Spectacle muet, chants de Nina Simone
Avec : Jean Haderer, Lise Maussion et Damien Mongin
Montage et arrangements sonores : David Georgelin et Damien Mongin
Prothèse dentaire : Anna Baudouin
Scénographie et construction : Théâtre Pôle Nord
Photo : © Christophe Laporte
Administration : Charlotte Fleury
Avec le soutien du département de l’Ardèche et de la D.R.A.C. Rhône-Alpes via La Comédie de Valence
Production : Théâtre Pôle Nord
Du 6 au 10 et du 13 au 17 octobre 2015 à 19 h 30
Tarifs de 7,50 € à 12 €
Photo : © Christophe Laporte
L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon
Tél. 04 78 58 88 25