Un conte satirique
Par Fatima Miloudi
Les Trois Coups
À la tombée de la nuit, au domaine d’O, dans un temps et un lieu propices à l’imaginaire, « l’Oiseau vert » de Carlo Gozzi, mis en scène par Laurent Pelly, a enchanté le public montpelliérain. La fable philosophique, mêlant féerie et farce, a suscité émerveillement et rire. La saveur de la pièce tient néanmoins plus à sa mise en forme qu’à l’histoire. Cependant, entrons dans la cité fictive de Monterotondo, dans le jardin de la Serpentine, sur la colline de l’ogre…
Un ministre ventripotent traduit les incompréhensibles prophéties d’un devin. Le roi revient de la guerre et d’une absence de dix-neuf années. Pendant ce laps de temps, la reine-mère a enterré sa bru sous l’évier de la cuisine et, croit-elle, fait mourir les deux enfants princiers. Un couple de charcutiers a recueilli les malheureux que le ministre Pantalon a emmaillotés dans « vingt-quatre épaisseurs de toile cirée », avant de les jeter dans le canal. Barbarina et Renzo, les jumeaux abandonnés, confits en discours raisonneurs, dédaignent leur mère adoptive. Le conte se met en marche. La statue du philosophe, dotée du pouvoir de la parole, leur donne une pierre qui va transformer leur destin. Alors, oublieux de leur origine misérable et de leurs belles phrases creuses, les voici piégés par la vanité. Au terme de péripéties merveilleuses, grâce à l’oiseau vert qui dénouera les sorts, ils apprendront à se dégager des enseignements spécieux de la « philosophie moderne », marquée par une bonne dose d’insensibilité, et de leur immature fatuité. Ils ne confondront plus désormais amour-propre et amour de soi et des autres. L’histoire est simple. Ce sont les moyens qui la rendent goûteuse et l’exhibition de la théâtralité qui engendre le rêve et le rire.
Le spectateur, comme sur un tapis volant
La scénographie propose une étendue dépouillée, une sorte de plateau ondulé permettant la représentation variée de zones lointaines ou proches. Ses bords, parfois relevés, découvrent tantôt l’espace inférieur où croupit la reine enterrée, tantôt l’espace annexe de la chambre de Renzo, en proie au désespoir sur un matelas molletonné. À l’arrière-plan, dans le découpage d’un décor de village cartonné, surgit le couple de charcutiers. Au centre, entre les collines du plateau, une porte figure l’entrée d’une grotte. Des candélabres descendent des cintres ; des cadres matérialisent des palais ; la lumière modifie les lieux. La scénographie nous promène d’un endroit à un autre, aussi facilement que si nous étions sur un tapis volant. Cependant, la magie se donne à voir : sur les côtés du plateau, les techniciens actionnent des poulies. Le décor sert également le comique. Le jeu des cadres de taille variable souligne le physique aiguisé du roi maniéré. Les accessoires-personnages s’amusent de nos références. Derrière les statues parlantes, l’éclairage laisse voir le corps du philosophe assis sur une chaise et fumant sa pipe. Les acteurs quittent la scène après leur métamorphose en statue de papier, comme ça, l’air de rien, puisque leur rôle semble prendre soudainement fin. Des femmes-sirènes dans leurs robes fourreaux pailletées symbolisent le charme envoûtant de pommes qui chantent. Ainsi, si le merveilleux du conte opère, le genre prend ses distances avec lui-même et se plaît à se parodier.
L’éternel pouvoir de la farce
Les personnages de la commedia dell’arte côtoient ceux issus de nos représentations contemporaines. Les stéréotypes d’autrefois et d’aujourd’hui créent une connivence avec un public prompt à rire à ce qu’il reconnaît. Le truculent charcutier Truffaldin, joué par Georges Bigot, et sa femme Smeraldine, mamma italienne, interprétée par Nanon Garcin, sont de la plus pure tradition. Les chamailleries du couple, farcies de reproches et de mauvaise foi, font mouche à tous les coups. La vieille reine-mère, blonde toute de noir vêtue, soutenue par deux cannes en pattes d’araignée, évoque avec sa voix grinçante la sorcière de Disney. Le jeu de Marilú Marini est poussé, mais plus il l’est, plus la méchante de nos peurs d’enfant est ridiculisée et plus elle nous fait rire. Emmanuel Daumas, dans le rôle du burlesque roi Tartaglia, se plaît en poses affectées et précieuses. En proie à des sentiments toujours outrés, il désarticule son corps. Sa partition de fantoche est jubilatoire.
Cependant, les ruptures de ton qu’occasionne la pièce dans la coexistence de la fantaisie, de la farce et de la fable didactique ne sont pas pas d’égale tenue. Le jeu de Jeanne Piponnier, hormis ses minauderies à la fenêtre du palais, et de Thomas Condemine, ne suscitent guère l’adhésion. La candeur de l’enfance, marquée par la voix et la posture, paraît, pour le coup, trop caricaturale. Mais, malgré une certaine inégalité qui tire son origine de l’argument de la fable, le spectateur oublie vite les ralentissements et se laisse prendre à la magie du théâtre. ¶
Fatima Miloudi
l’Oiseau vert, de Carlo Gozzi
Traduction : Agathe Mélinand
Mise en scène, décors et costumes : Laurent Pelly
Comédiens : Pierre Aussedat, Georges Bigot, Alexandra Castellon, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Nanou Garcia, Eddy Letexier, Régis Lux, Mounir Margoum, Marilú Marini, Jeanne Piponnier, Fabienne Rocaboy
Lumières : Michel Le Borgne
Son : Joan Cambon, Géraldine Belin
Maquillages et coiffures : Suzanne Pisteur
Accessoires : Jean-Pierre Belin
Assistante à la mise en scène : Sabrine Ahmed
Collaboration à la scénographie : Camille Dugas
Direction technique : Jean-Marc Boudry
Réalisation des costumes : Ateliers du T.N.T. sous la direction de Nathalie Trouvé
Réalisation des décors : Ateliers du T.N.T. sous la direction de Claude Gaillard
Régisseur général : Jacques Escoffet
Régisseurs plateau : Laurent Fourmy, Christophe Gagey
Machinistes : André Cruz, Jean-Jacques Duquesnoy, Jean‑Baptiste Esquerré, Robin Jouanneau, Éric Soucaze, Eckhard Weber
Régisseur lumières : Paul Boggio
Électricien : Bastien Clarenc
Habilleuse : Sabine Rovere
Coiffure : Meggy Infantes, David Vaissière
Photo : © Polo Garat-Odessa
Production T.N.T.-Théâtre national de Toulouse – Midi-Pyrénées
Coproduction M.C.2-Grenoble, Théâtre national de Bretagne-Rennes
Domaine d’O, Amphithéâtre d’O • 178, rue de la Carriérasse • 34090 Montpellier
Réservations : 08 00 20 01 65
Vendredi 12 juin 2015 à 22 heures, samedi 13 juin 2015 à 22 heures, dimanche 14 juin 2015 à 22 heures
Durée : 2 heures
24 € | 20 € | 12 € | 8 €