Sexe, drogue et politique
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Le drame romantique d’Alfred de Musset transposé dans les arcanes du pouvoir contemporain : le résultat déçoit mais le texte gagne à être réentendu.
Dans la Florence de 1537, le duc Alexandre de Médicis règne en tyran avec l’appui du Saint-Empire et du Pape. Lorenzo, jeune homme idéaliste et cousin du duc, aspire à éliminer ce dernier pour restaurer la République. Pour cela, le héros éponyme gagne la confiance du tyran : tantôt confident, tantôt bouffon, Lorenzo accompagne Alexandre dans toutes ses plus basses manœuvres et ses beuveries… quitte à perdre ses illusions en chemin. Les compromissions successives lui valent le surnom péjoratif de « Lorenzaccio » de la part de ses concitoyens. Ces derniers feront pourtant preuve d’une inaction criminelle, lorsqu’une nouvelle donne politique s’offrira à eux, à la fin de la pièce.
En écrivant Lorenzaccio, drame historique en cinq actes, Musset s’inspire d’événements réels racontés dans une chronique de la Renaissance sur la vie de Florence au XVIe siècle. Les parallèles entre la Florence d’alors et les désillusions de la génération romantique, à laquelle appartient le dramaturge, sont nombreux. L’époque louis-philipparde est en effet marquée par les désillusions après la Révolution « récupérée » de 1830. La pièce dresse le constat cynique de l’impuissance des peuples, condamnés à nourrir un perpétuel espoir de renouveau politique pour finalement se retrouver face à l’éternel retour du même pouvoir.
Le désenchantement politique contemporain se prête tout à fait à une lecture actualisée de l’œuvre de Musset et c’est bien le parti pris adopté par Catherine Marnas. Le nombre de personnages a été réduit, le texte resserré, en mettant au centre la relation entre Lorenzaccio et Philippe Strozzi, humaniste convaincu, mais incapable de passer à l’action (contrairement au héros tragique).
Un rythme inégal
L’orgie qui ouvre la pièce annonce le ton décalé de la mise en scène. La vulgarité et le bling-bling se veulent le reflet du pouvoir en place : Alexandre apparaît effectivement comme un jeune technocrate libidineux.
La musique de Daft Punk rythme les danses lascives des courtisans déguisés, tandis que Lorenzaccio au micro (Jules Sagot) dévoile un phrasé digne de Philippe Katerine. Le jeu du comédien intrigue par sa distanciation ironique permanente. Sa sincérité discutable a le mérite de nous interroger sur le double jeu de son personnage. C’est ce que souligne Philippe Strozzi (Franck Manzoni), las de la duplicité de Lorenzo : « Si la hideuse comédie que tu joues m’a trouvé impassible et fidèle spectateur, que l’homme sorte de l’histrion ! ».
Dommage que le rythme s’essouffle, une fois le premier choc visuel passé. Les scènes plus intimistes pèchent par leur manque de dynamisme. On note un déficit d’écoute entre les comédiens, plusieurs répliques ayant été anticipées. Malgré des voix qui gagneraient à être projetées davantage, le texte nous parvient et surprend par son actualité. L’échange entre Philippe Strozzi et Lorenzo est en cela le morceau de bravoure de la pièce, véritable condensé du débat entre le dire et le faire en politique : « Qu’importe que la conscience soit vivante si le bras est mort ? » interroge Lorenzo.
Même si l’interprétation et le rythme laissent parfois à désirer, il faut saluer le travail de mise en scène et de remaniement du texte effectué par Catherine Marnas. Initialement conçu pour 80 personnages et 36 décors, la pièce de Musset est avant tout un défi logistique. Les coupes du texte qui ont été nécessaires n’altèrent heureusement pas le sens général de l’œuvre… presque désespérant d’actualité. ¶
Bénédicte Fantin
Lorenzaccio, d’Alfred de Musset
Mise en scène : Catherine Marnas
Assistanat à la mise en scène : Odille Lauria
Scénographie : Cécile Léna et Catherine Marnas
Lumières : Michel Theuil
Création sonore : Madame Miniature, avec la participation de Lucas Lelièvre
Costumes : Édith Traverso et Catherine Marnas
Maquillage : Sylvie Cailler
Construction décor : Opéra national de Bordeaux
Avec : Clémentine Couic, Julien Duval, Zoé Gauchet, Francis Leplay, Franck Manzoni, Jules Sagot, Yacine Sif El Islam, Bénédicte Simon
Durée : 2 heures
Photo : © Patrick Berger
Théâtre de l’Aquarium • La Cartoucherie – route du champ de manœuvre • 75012 Paris
Du 26 septembre au 15 octobre 2017, du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 16 heures
Site ici
De 10 € à 22 €
Réservations : 01 43 74 99 61