L’exil comme arbre de vie
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Fabrice Melquiot, auteur, et Omar Porras, comédien et metteur en scène, s’associent poétiquement pour créer « Ma Colombine », avec réussite.
Le rêve des deux artistes, tous deux « exilés » en Suisse, a pris racine lors d’un voyage commun en Colombie, sur la terre natale d’Omar Porras. Sur le plateau éclosent aujourd’hui leurs conversations, leurs confidences et leurs désirs de faire naître un théâtre du réel et de l’imaginaire. À Melquiot, la responsabilité des mots et des fantasmes ; à Porras, celle des situations vécues et des songes.
En résulte une vraie fausse histoire passionnante où acteur, metteur en scène et dramaturge marient avec intelligence et malice leurs univers respectifs. Sous forme de solo, la pièce suit le parcours d’un enfant colombien qu’un pédagogue autoritaire humilie en le travestissant. De cette ignoble attitude surgit par bonheur la volonté du gamin de devenir clown et, les années passant, de sauter d’un continent à l’autre pour se réaliser comme artiste.
Pour les spectateurs jeunes ou adultes, le parcours théâtral est palpitant. La scène, pendant un peu plus d’heure, devient le lieu d’une transmission d’expérience de vie en forme de poème. En dire plus serait gâcher la surprise du voyage initiatique qui attend le public.
Guaimaro
Pour ceux qui connaissent son travail, Omar Porras est parfois abusivement classé comme praticien d’une théâtralité uniformément baroque, luxuriante et joyeuse. Avec Ma Colombine, les amateurs de définition seront surpris. Seul en scène, il parcourt les âges de la vie – souvent de sa vie – avec une tenue simple, les pieds nus, en développant son jeu sous les auspices d’une lune bienveillante, et en compagnie d’un petit arbre et d’un gros rocher. Ces moyens scéniques, volontairement élémentaires, que magnifie une subtile partition d’éclairages laisse le champ libre à un comédien virtuose de son corps, de sa voix et rompu au sens de l’improvisation.
À titre d’exemple, son rapport à l’arbre fascine. N’est-ce pas en Colombie que, de nos jours, on protège le guaimaro, un végétal ancestral et nourricier, symbole concret d’élan vital indispensable à l’homme ? Omar Porras, riche de sa condition d’exilé, sait ce que protéger la nature veut dire quand la société se fait menaçante et violente. Ma Colombine est une magnifique ode à la résistance.
Théâtre
Fabrice Melquiot et Omar Porras reprendront cette création à l’occasion du Festival d’Avignon, en juillet prochain. Un rendez-vous à ne pas manquer. Pour les amateurs, il s’agit bien et tout simplement de théâtre. En un seul mot. Une manière concrète de moquer le discours d’un directeur d’une grande scène parisienne qui déclarait récemment qu’il y avait dans sa programmation du théâtre-théâtre, comme si ce langage artistique avait disparu. Chez Am Stram Gram, à Genève, ce n’est pas le cas. ¶
Michel Dieuaide
Ma Colombine, de Fabrice Melquiot
Mise en scène, interprétation, scénographie et costume : Omar Porras
Assistant à la mise en scène : Domenico Carli
Regard extérieur : Alexandre Ethève, Philippe Car
Univers sonore et musique : Cédric Pescia, Emmanuel Nappey
Collaboration chorégraphique : Kaori Ito
Réalisation arbre et régie plateau : Léo Piccirelli
Lumière : Omar Porras et Marc-Etienne Despland
Coproduction : Théâtre Am Stram Gram-Genève, Theâtre T K M, Théâtre Kléber-Méleau-Renens et Teatro Malandro
Théâtre Am Stram Gram • Route de Frontenex, 56 • 1207 Genève
Location : info@amstramgram.ch
Du 18 au 29 janvier 2019
Durée : 1 heure environ
De 10 FS à 25 FS