« Ma famille », de Carlos Liscano, Théâtre Paul‑Scarron, Le Mans

« Ma famille » © En-phase

Confiez vos parents à un « dépôt de vieux »

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

Un enfant, un parent à vendre ? « Ma famille » vous donne le mode d’emploi.

C’est la société de consommation poussée à son paroxysme : quand tout, même le plus sacré – sa propre famille – est à vendre. Le frigo est en rade ? Vous avez une fête à organiser ? La vente de tout ou partie de votre progéniture pourvoira à vos besoins. À condition, bien sûr, de savoir vous y prendre. C’est que, hélas, certains enfants, vu leur sale tronche ou leur indécrottable bêtise, sont littéralement invendables.

La pièce de Carlos Liscano 1 est fondée sur un principe simple : appliquer méthodiquement le rationnel à ce qui, intrinsèquement, lui résiste. Ici, le lien familial. Le résultat ? Un mélange futé de loufoquerie et de réflexion sur la nature humaine. Jusqu’où irait-on pour accroître son bien-être matériel ? Reste-t-il des choses intouchables ?

Ce rationnel absurde est aussi l’un des moteurs de la mise en scène de Camille Kerdellant et Rozenn Fournier, les deux acolytes de la compagnie K.F. Association 2. Assises l’une à côté de l’autre à une petite table seulement éclairée par deux lampes de bureau, les comédiennes usent d’une gestuelle très travaillée, mais dont le statisme, au début, laisse augurer d’un certain ennui. On devine cependant que tout cela est trop sage pour être honnête.

Portraits grimaçants

Et, en effet, on assiste bientôt à une cascade de mimiques impayables et de trouvailles scéniques qui accompagnent la plongée en absurdie du texte de Liscano – et tout cela sans que Kerdellant et Fournier bougent de leur chaise. C’est toute une galerie de portraits grimaçants qui défile sur ce bout de plateau. Camille Kerdellant, le garçonnet « invendable » finit par faire son trou grâce à son astuce et surtout son sens des affaires. On applaudit autant son travail vocal (voix couinante mais compréhensible du rejeton) que corporel (genoux cagneux, léger strabisme et lèvre supérieure retroussée qui laisse voir les dents du haut : moins glamour, tu meurs !). Rozenn Fournier, le père, soûlard grognant et bavant, vend ses enfants, tout fier cependant de son fiston qui a su, comme un grand, « se vendre tout seul ». Mais aussi le frère « arboricole » du narrateur, « sage » qui élève toute sa famille dans les arbres ; la mère à la voix flûtée, ménagère de moins de cinquante ans dégénérée qui demande au fils de vendre le père… Et d’autres encore.

Côté mise en scène, on adore (même si le procédé, au bout d’un moment, finit par moins surprendre) le dialogue entre la sœur et son frère perché dans son arbre, leurs paroles respectives étant doublées par un écho… celui de la voix de l’autre comédienne. Et aussi ce rituel au cours duquel les deux interprètes tournent mécaniquement, d’un geste parfaitement synchronisé, les pages de leur livre, d’ailleurs disposé dans le mauvais sens.

Ce qui est finalement assez réjouissant (du point de vue du théâtre de toute façon), c’est qu’au cours de la pièce, aucun personnage n’évolue dans le sens du bien. Bêtes et méchants ? Pas bêtes, non : tous font preuve d’une intelligence redoutable quant à la gestion de leurs intérêts. Méchants ? En tout cas, tâchant surtout de survivre le moins mal possible dans la société qui est la leur et dans laquelle vendre littéralement père et mère fait partie de la vie. 

Céline Doukhan


Ma famille, de Carlos Liscano

K.F. Association • 6, square de Provence • 35000 Rennes

http://compagniekf.free.fr/accueil.html

compagniekfassociation@neuf.fr

Mise en scène et jeu : Camille Kerdellant et Rozenn Fournier

Collaboration artistique : Michaël Egard

Photo : © En-phase

Théâtre Paul-Scarron • 8, place des Jacobins • 72000 Le Mans

www.theatre-ephemere.fr

Réservations : 02 43 43 89 89

Les 12 et 15 janvier 2015 à 18 h 30, les 13, 14 et 16 janvier à 20 h 30

Durée : 1 heure

8 €

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