Le grand retour de « Madame Favart »
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
Absent de l’affiche depuis plusieurs décennies, « Madame Favart » d’Offenbach fait son grand retour à l’Opéra Comique. Une production enjouée, signée Anne Kessler et Laurent Campellone, qui rend hommage à une femme de théâtre d’exception.
Les amateurs d’opérette attendaient le retour de Madame Favart avec impatience. L’Opéra Comique vient de réaliser leur souhait. En effet, cette œuvre lyrique légère de Jacques Offenbach n’avait pas été jouée depuis longtemps. L’ouvrage avait pourtant remporté un grand succès lors de sa création aux Folies-Dramatiques en 1878. Ce petit bijou musical vient d’être exhumé par la metteuse en scène Anne Kessler, sociétaire de la Comédie Française, et le chef d’orchestre Laurent Campellone, dans le cadre du Festival Palazzetto Bru-Zane.
Avec cet opéra-comique en trois actes, Jacques Offenbach et ses deux librettistes, Alfred Duru et Henri Chivot, rendent un hommage vibrant à une femme d’exception. Comédienne, chanteuse, danseuse, auteure, compositrice, Justine Favart fut une artiste complète de son temps. Avec son époux, le dramaturge Charles-Simon Favart, directeur de l’Opéra Comique, ils formèrent l’un des couples les plus en vue du XVIIIe siècle, pour des raisons aussi bien artistiques que politiques.
Le livret s’inspire de la célèbre « affaire Favart » qui défraya la chronique dans les années 1740. Persécution des époux Favart ; cabale politique contre le maréchal Maurice de Saxe, épris de Justine ; manœuvre du parti dévot contre les mœurs de Madame Favart. Les tenants et les aboutissants de cet épisode complexe restent encore aujourd’hui obscurs. Toujours est-il que cette affaire, qui fit fantasmer plusieurs générations d’artistes, inspira pas moins de sept pièces de théâtre au début du siècle suivant !
Une intrigue de vaudeville détonnante
Madame Favart propose une intrigue de vaudeville irrésistible où deux couples en difficulté vont se prêter main forte. D’un côté, Justine Favart, échappée du couvent des Ursulines où elle avait été enfermée, et Charles-Simon, caché chez un aubergiste pour éviter la prison. De l’autre, Suzanne, fille du major Cotignac, et le greffier Hector de Boispréau, qui doit absolument obtenir le poste de lieutenant de police auprès du marquis de Pontsablé pour obtenir la main de sa douce. Grâce à l’ingéniosité de Justine, les deux couples vont multiplier les ruses pour faire triompher l’amour.
Anne Kessler et Laurent Campelonne ont décidé de présenter l’œuvre dans sa version originelle, sans couper une seule phrase du livret – comme il est souvent d’usage dans les productions modernes – et sans retirer un seul air de la partition. La sociétaire de la Comédie Française s’empare avec habileté de l’intrigue, sans trop d’extravagance. Elle orchestre une poignée de gags bien sentis, tout à fait dans l’esprit du vaudeville, et soigne particulièrement les scènes d’ensemble. Le spectacle se déploie progressivement, à l’image du premier acte et de son final explosif.
Les décors proposent une reconstitution de la centrale costumes de l’Opéra Comique, meublée de dizaines de bustes de mannequin – clin d’œil à Justine Favart qui fut la première à porter un soin si particulier au réalisme de ses costumes de scène. Le plateau est envahi par une horde de costumiers en blouses blanches qui s’agitent épisodiquement. Le changement de lieux entre les actes est suggéré à l’aide de simples accessoires (un paravent pour le salon du lieutenant de police à l’acte II, des petites tentes pour le camps militaire à l’acte III). Les costumes, qui n’ont rien à voir avec les tenues affriolantes de l’époque, semblent tout droit sortis d’un film des années 1940 ou 1950.
Une œuvre légère mais techniquement exigeante
Cette nouvelle production est portée par un casting dynamique et efficace. Marion Lebègue interprète une Justine séduisante, coquette et sûre d’elle. Plus ou moins à l’aise selon les scènes parlées, la mezzo-soprano s’en sort avec les honneurs dans ce rôle qui nécessite une extrême aisance scénique et prend un plaisir évident à jouer les tragédiennes caricaturales. Elle délivre des performances vocales remarquables d’expressivité et module à merveille sa voix puissante et colorée, selon l’identité des personnages qu’elle incarne (jeune ou vieille femme, homme, etc.).
Face à elle, Christian Helmer interprète un Monsieur Favart séduisant et charismatique, complètement sous le charme de son épouse. Ses graves superbes confèrent une allure folle à son personnage d’artiste en cavale. Suzanne est campée avec brio par la soprano Anne-Catherine Gillet, ravissante en fille à papa rebelle. Sa voix à l’accent délicieusement embourgeoisé dans les passages parlés se découvre éclatante dans les numéros musicaux. Pleine de surprises, elle conclut même l’un de ses airs par un grand écart ! Le ténor François Rougier est parfaitement convaincant dans le rôle d’Hector, homme simplet mais dévoué. À l’aise dans le jeu, le chanteur s’épanouit au fil du spectacle et se montre particulièrement brillant dans la chanson des tyroliens. Franck Leguérinel est impeccable dans le rôle du Major Cotignac, à la fois drôle et subtil. Enfin, Éric Huchet, poudré à outrance, est quant à lui superbement insupportable en Marquis de Pontsablé, caricature de l’aristocrate précieux.
Laurent Campellone et les musiciens de l’Orchestre de Chambre de Paris s’emparent avec entrain de cette délicieuse partition, hommage d’Offenbach au genre de l’opéra comique. On se laisse séduire sans difficulté par la légèreté de la musique, le caractère entêtant des airs et les interventions rafraîchissantes du Chœur de l’Opéra de Limoges. Grâce à cette nouvelle production de l’Opéra Comique, Madame Favart est enfin de retour. Pour de bon, on l’espère. ¶
Maxime Grandgeorge
Madame Favart, de Jacques Offenbach
Livret : Alfred Duru et Henri Chivot
Direction musicale : Laurent Campellone
Mise en scène : Anne Kessler
Avec : Marion Lebègue, Christian Helmer, Anne-Catherine Gillet, François Rougier, Franck Leguérinel, Éric Huchet, Lionel Peintre, Raphaël Brémard, Agnes de Butler, Aurélie Pes, Solal Dages-Des-Houx, Colin Renoir-Buisson
Avec les musiciens de l’Orchestre de Chambre de Paris et le Chœur de l’Opéra de Limoges
Dramaturgie : Guy Zilberstein
Scénographie : Andrew D. Edwards
Costumes : Bernadette Villard
Chorégraphie : Glyslein Lefever
Lumières : Arnaud Jung
Cheffe de chant : Marine Thoreau La Salle
Assistante musicale : Béatrice Berrut
Assistant chorégraphie : Mikaël Fau
Assistante mise en scène : Jeanne Pansard-Besson
Assistante costumes : Alice Cambournac
Coproduction : Opéra Comique, Bru Zane, Opéra de Limoges, Théâtre de Caen
Dans le cadre du Festival Palazzetto Bru-Zane
Durée : 2 h 30 avec entracte
Opéra Comique • Place Boieldieu • 75002 Paris
Du 20 au 30 juin 2019
De 6 € à 138 €
Réservations : 01 70 23 01 31
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