La danse classique, ambiance vestiaire
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Le Ballet de Lorraine, spécialiste du répertoire contemporain, propose une merveilleuse initiation à la danse américaine à travers deux chorégraphies de Martha Graham et Twyla Tharp.
Martha Graham a parfois été décrite comme le Picasso de la danse. Au cours de sa très longue carrière (elle s’est éteinte en 1991, à l’âge de 96 ans !), la chorégraphe a en effet fait prendre un virage radical à la danse académique. Le Ballet de Lorraine présente ici Sketches From Chronicle, créé en 1936, année où Martha Graham décline l’invitation de Hitler à venir à Berlin participer à un festival artistique. Découvrir aujourd’hui le style de Martha Graham, c’est deviner quelle claque de modernité a dû asséner la chorégraphe aux spectateurs américains de l’époque. Certes, il n’y a dans cette pièce que des femmes, mais elles n’ont rien à voir avec les ballerines diaphanes en tutu blanc idéalisées dans les grandes chorégraphies classiques ! Ici, les danseuses sont pieds nus et portent des robes noires toutes simples, très près du corps, pour mettre en valeur chaque mouvement, notamment du buste.
La gestuelle détonne également, avec des mouvements saccadés, presque compulsifs. Les mains prennent une importance particulière, leurs mouvements sont très étudiés et semblent suivre leur propre chorégraphie. Cette impression de voir une gravure, une sorte de figure antique s’animer sous nos yeux, apparaît dans le solo d’ouverture et est largement confirmée dans la pièce de groupe. Là, ce sont carrément les frises du Parthénon qui prennent vie ! Autour d’un personnage de femme en robe blanche, onze danseuses en noir tournent, courent et sautent dans une célébration intense, à la modernité radicale, accentuée par le côté très graphique des costumes et des postures. Des postures de tableau vivant, à la fois de face et de profil, qui rappellent d’ailleurs une autre chorégraphie révolutionnaire de Nijinsky, l’Après-midi d’un faune (1912).
Passage sans transition de l’Antiquité aux eighties avec In the Upper Room de Twyla Tharp. On est en 1986, et les costumes disent bien leur époque : pantalons et hauts rayés blanc et noir avec des touches de rouge, et… des baskets ! Faisant fi des catégories habituelles, Twyla Tharp fait se côtoyer six danseurs en baskets et six autres chaussés de façon plus « classique » au propre et au figuré, même si les pointes sont elles aussi rouges. Le vocabulaire classique se mêle avec une fluidité parfaite à des mouvements clairement inspirés de l’univers du sport.
Le final, véritable feu d’artifice
Dans cette pièce d’environ trois quarts d’heure, différentes séquences s’enchaînent sans discontinuer, comme une véritable noria. À peine le temps de s’émerveiller devant un étonnant triple porté que le duo de danseuses classiques traverse la scène avec vivacité. Tout étincelle, séduit, surprend. À l’image de la musique de Philip Glass, spécialement créée pour ce ballet à la demande de Twyla Tharp. Le final en est le brillant sommet, véritable feu d’artifice musical et chorégraphique, qui emporte le spectateur, grâce aussi à la qualité de l’interprétation de toute la troupe.
Et l’on croit voir des fils conducteurs, des parentés, qui esquissent quelques traits de cette danse made in America : totalement libre, s’appropriant avec bonheur l’héritage des maîtres – ces bodys et minitutus rouges, cette danse qui ne raconte rien si ce n’est le bonheur de danser, cet humour aussi, ne font-ils pas penser au Balanchine de Rubis ? On devine aussi comment a pu se forger le style à la fois classique et décontracté d’un Benjamin Millepied, ancien danseur vedette du New York City Ballet qui prend maintenant les rênes du Ballet de l’Opéra de Paris. ¶
Céline Doukhan
Made in America
Centre chorégraphique national-Ballet de Lorraine • 3, rue Henri-Bazin • 54000 Nancy
03 83 85 69 00
http://www.ballet-de-lorraine.eu
In the Upper Room
Chorégraphie : Twyla Tharp, remontée par Stacy Caddell
Conception originale des costumes : Norma Kamali
Lumières : Jennifer Tipton
Répétitrice : Isabelle Bourgeais
Sketches From Chronicle
Chorégraphie et costumes : Martha Graham
Musique : Wallingford Riegger
Lumières : Jean Rosenthal
Nouvelles lumières Steps in the Street : David Finley
Nouvelles lumières Spectre-1914 et Prelude to Action : Steven L. Shelley
Répétitrice : Isabelle Bourgeais
Avec les danseurs du Ballet national de Lorraine
Photos Sketches From Chronicle : © Bernard Prudhomme
Les Quinconces • place des Jacobins • 72000 Le Mans
Réservations : 02 43 50 21 50
Le 10 juin 2014 à 20 h 30
Durée : 1 h 30
22 € | 13 € | 11 € | 8 €