Royal
Par Vincent Morch
Les Trois Coups
Pascal Faber revient à « Marie Tudor » (1833), qu’il avait déjà mise en scène en 2002, au théâtre Rouge du Lucernaire. Par bien des égards, le travail qu’il a effectué sur cette pièce, avec tous les membres de la Compagnie 13, est exemplaire. Avec, en apothéose, un final d’une intensité rare.
Gilbert (Pierre Azéma) est un ouvrier ciseleur, fiancé à celle qu’il avait recueillie seize ans auparavant, Jane (Flore Vannier-Moreau), au cours d’une violente nuit d’émeute. Mais, à une semaine de leur mariage, il s’inquiète – à juste titre : il apprend qu’elle est tombée sous le charme d’un jeune gentilhomme de la cour, qui se révèle être l’intrigant et perfide amant de la reine Marie d’Angleterre (1516-1558), Fabiano Fabiani. Pris dans un complexe jeu d’ambiguïtés et d’ambivalences, les personnages seront confrontés à la douloureuse nécessité d’un choix décisif. Gilbert ou Fabiano ? Venger ou ne pas se venger ? Suivre son cœur ou effectuer son devoir ? Vivre ou mourir ? Toute la question étant de savoir si faire tel ou tel choix, ou même si choisir ou non n’est pas, finalement, indifférent. Quelqu’un, dans l’ombre, peut tirer les ficelles.
Le texte de Hugo, subtilement raccourci, ne subit aucun dommage dans cette opération. En revanche, Pascal Faber s’est très largement affranchi des nombreuses didascalies et indications scéniques hugoliennes pour en tirer une mise en scène sobre, intelligente, efficace, et toujours respectueuse de l’esprit de la pièce. Un plateau entièrement noir, sans décor hormis quelques accessoires (un banc, un tapis, une chaise, deux tentures), suffisent, avec l’aide de fumigènes et de lumières bien pensées, à suggérer tous les lieux où se déroule l’intrigue. Les costumes, à la fois anachroniques et élégants, sont d’une excellente facture, et, comme la scénographie, n’ancrent l’action dans aucune époque particulière, servant l’universalité du propos.
La qualité de l’interprétation s’impose
Dès les premières répliques échangées, la qualité de l’interprétation s’impose, et chose assez rare, celle-ci se révèle d’une grande homogénéité. Il n’y a pas, comme cela arrive fréquemment, du bon mélangé à du moins bon, de l’excellent à du médiocre : tous les personnages sont ici défendus avec intelligence et talent, chacune de leurs phrases sonne juste. C’est une performance d’autant plus méritoire que les personnages principaux sont complexes, traversés de sentiments contradictoires, d’aspirations irréconciliables. Ainsi, Pierre Azéma campe un Gilbert à la fois doux, sentimental, passionné et violent ; Florence Cabaret une reine despotique, instable et totalement perdue entre ses devoirs d’État et ses aspirations de femme, son désir de se venger de Fabiano et son amour pour lui. J’ai aussi beaucoup aimé l’interprétation que propose Sacha Petronijevic de Simon Renard, l’homme de l’ombre, pleine d’une ironie subtilement distanciée.
Mais tout cela n’est encore rien au regard du final de la pièce. Celui-ci se déroule au moment où l’exécution de Fabiano est finalement décidée, mais où l’incertitude s’installe sur l’identité réelle de celui que l’on conduit au bourreau. Selon les indications scéniques de Victor Hugo, le son puissant d’une cloche retentit tout au long de cette scène, accentuant l’angoisse de Marie et de Jane restées dans la Tour de Londres, spectatrices impuissantes, et achevant de mettre leurs nerfs à vif. Florence Cabaret et Flore Vannier-Moreau y atteignent alors le sublime. Jamais, je n’ai vu une scène d’une telle intensité au théâtre. Jamais, je n’ai vu un engagement aussi total des interprètes. La déchirure du doute, la torture de l’espoir ont chez elles des accents de vérité si criants que l’on s’en accroche littéralement à son banc. Au moment de saluer, elles semblent encore ailleurs, très loin, bouleversées par l’épreuve qu’elles viennent de traverser et d’offrir au public. Magnifique. ¶
Vincent Morch
Marie Tudor, de Victor Hugo
Mise en scène : Pascal Faber
Assistant à la mise en scène : Sophie Lepionnier
Avec : Pierre Azéma, Florence Cabaret, Stéphane Dauch, Pascal Guignard, Frédéric Jeannot, Florence Le Corre, Sacha Petronijevic, Flore Vannier‑Moreau
Scénographie : Doriane Boudeville
Lumières : Sébastien Lanoue
Costumes : Cécile Flamend
Photo : © David Krüger
Le Lucernaire • 53, rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 57 34
http://www.lucernaire.fr/video/index.html
Du 12 octobre au 27 novembre 2011, du mardi au samedi à 21 h 30, les dimanches à 15 heures, relâche le 23 octobre 2011 et le 6 novembre 2011
Durée : 1 h 45
15 € | 25 € | 30 €