Acrobates de l’absurde
Par Brigitte Cohen et Léna Martinelli
Les Trois Coups
Entre acrobatie, clownerie, concert de sons et théâtre de l’absurde, Baro d’evel réenchante le monde (et nous avec) grâce au surréalisme poétique de « Mazùt ».
Foisonnement insolite : voilà les maîtres mots d’un spectacle excentrique proposé par la compagnie Baro d’evel, dirigée depuis 2006 par ce beau duo franco-catalan, Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias. Créé par eux, la première fois en 2012, Mazùt est repris par Julien Cassier et Marlène Rostaing. Un duo de choc !
Plus d’un spectateur jugera surprenant et novateur un spectacle, dont la poésie résulte autant du burlesque acrobatique que de la déclinaison, par toutes les combinaisons possibles, d’éléments disparates : une voix, des gouttes d’eau, une tête de cheval, un homme, un chien, une femme, des cartes topographiques, de l’encre noire, une chaise, deux tables. Un puzzle qui construit peu à peu du sens dans l’imaginaire du spectateur, durant l’heure de la représentation.
Imaginaire clownesque et poétique
Au départ, un homme à tête de cheval et une femme suivie d’une chienne. Le centaure dépose sa tête et la chienne Patchouka, personnage à part entière, va se coucher, après quelques caresses glanées dans le public. Finie la liberté vagabonde et retour au boulot routinier ! Déboussolés, dans un monde en déclin, les personnages s’emploieront malgré tout à se libérer des contraintes, à exprimer leurs instincts en retrouvant leur animalité.
Échapper à la prison d’un quotidien répétitif, c’est d’abord poser les questions existentielles d’un Beckett, « Ça va bien ? « « Où on va ? », au travers de bribes textuelles sur des visages ahuris. Ensuite, y répondre dans l’indécision et l’humour, par le déploiement clownesque du mouvement, dans la grâce d’un pas de danse, dans l’acrobatie instable des corps autour d’une chaise, ou bien dans un porté qui fait de la femme une cavalière.
Chavirés
C’est aussi développer (plus ou moins) le propos grâce aux modulations d’une voix féminine, belle et rauque, qui jaillit, hypnotique et sauvage, dans le froissement d’une vaste toile de papier, tantôt muraille maculée (d’où le titre Mazùt), tantôt maison informe sous laquelle passent et repassent les artistes, dans le concert de gouttes d’eau ricochant dans des boîtes de conserve vides.
Quel dispositif scénique ingénieux ! Beaucoup d’éléments ont été récupérés, avec un détournement loufoque de leur usage initial. Ces transformations de cartes de terminal aéroportuaire en œuvres d’art traduisent bien dans quels états limites nous mènent les débordements du monde. En cherchant une issue de secours, les personnages semblent se remettre sur la bonne voie, celle propice au réenchentement du monde : la créativité.
Scénographie, création lumière et sonore, construction dramaturgique, rythme, interprétation… Tout est très réussi. Les corps s’égarent, se tordent, s’effondrent dans la réinvention d’un nouveau cirque qui s’interroge, entre autres, sur le mouvement et son prolongement dans l’inconscient du rêve.
Avec le diptyque formé par Là et Falaise, qui tournent beaucoup cette saison, la compagnie offre un beau panorama. Plusieurs temps forts sont donc à retenir, dans la foulée, à la MC93 de Bobigny, au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, aux Bouffes du Nord. De l’intime et de l’épique, avec toujours de la poésie à la croisée des langages ! ¶
Brigitte Cohen et Léna Martinelli
Mazùt, de Baro d’evel
Site de la compagnie Baro d’evel
Mise en scène : Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias
Avec : Julien Cassier, Marlène Rostaing, la chienne Patchouka
Durée : 1 heure
À partir de 9 ans
MC93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis • 9, bd Lénine • 93000 Bobigny
Du 4 au 13 novembre 2021
De 9 € à 25 €
Réservations : 01 41 60 72 72
Tournée :
- Du 25 au 27 novembre 2021, au Théâtre 71, Malakoff
- Du 22 au 24 février 2022, aux Halles de Schaerbeek, Bruxelles
- Les 10 et 11 mars, Le Parvis, scène nationale de Tarbes
- Les 22 et 23 mars, à La Halle aux Grains, scène nationale de Blois
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Falaise, de Baro d’evel, par Léna Martinelli
☛ Là, de Baro d’evel, par Léna Martinelli