« Mec », d’Allain Leprest, Jazz aux Écluses à Hédé‑Bazouges [Ille‑et‑Vilaine]

Philippe Torreton © Jean-François Picaut

Allain Leprest admirablement servi

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Allain Leprest nous a quittés en août 2011, et c’est un comédien et un batteur qui se sont approprié les textes de cet auteur, compositeur et interprète pour en faire un spectacle qu’on n’oubliera pas de sitôt.

Le premier album de Leprest s’intitulait Mec. C’est le titre qu’ont choisi le comédien Philippe Torreton et le batteur Edward Perraud pour leur montage de chansons en l’honneur du poète parolier, natif de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime).

Le spectacle commence justement par Mec, la chanson éponyme de l’album paru en 1986. Philippe Torreton s’empare à bras le corps de ce texte si caractéristique de Leprest, sorte de confession impudique d’un homme plein de pudeur pour chanter l’amitié. Une forme de poésie à la Ferré, un de ses modèles, dans la veine des Mac Orlan. Le jeu spectaculaire d’Edward Perraud théâtralise la diction de Torreton.

Qu’il fasse l’éloge du Chien d’ivrogne ou fasse l’inventaire de ce qu’il y a Dans le sac de la putain, Leprest chante la marge avec sensibilité, mais sans sensiblerie. Il excelle à trouver l’image qui fait mouche, ainsi ces « lettres jaunies d’une mère / Qui la croit vendeuse au Printemps / Et qui y envoie pour ses trente ans / Un pauvre billet plié en sept / Pour qu’elle s’paye un mini-cassette » qui ne quittent pas le fond du sac de la péripatéticienne. Il excelle aussi à décrire la mouise en des termes que ceux qui ne l’ont pas connue trouvent exagérés : « On détricotait nos vieilles chaussettes / Pour monter le col à nos pull-overs » (On était pas riche).

Un génial bricoleur de sons

La chanson d’amour chez Allain Leprest n’est jamais mièvre et ne recule pas devant les formules fortes : « Ton cul est rond comme une horloge / Et quand ma fatigue s’y loge / J’enfile le temps à rebours » (Ton cul est rond comme une horloge). Son évocation de la pluie sur la mer en Normandie pourrait être du Brel : « Il pleut sur la mer, c’est bien inutile / Ça mouille la pluie, c’est du temps perdu / Les mouettes s’ennuient, blotties sous les tuiles / Il tombe des cordes et l’eau s’est pendue / Aux plus hautes branches / De la Manche » (Il pleut sur la Manche). La tristesse et l’ennui sont ses compagnons de tous les jours : « Omaha Beach ou Saint-Malo / La mer vient, repart et revient / Elle s’échine à faire son boulot / Que pourtant, ça la mène à rien / La mer, c’est comme tout, on s’en lasse / Quand elle aura léché la côte / On attendra la marée basse / Puis après… ben la marée haute ! » (Y a rien qui s’passe). Sa dénonciation du déterminisme de classe est noire quand il évoque les Mozart, Colette, Van Gogh ou même Cerdan que la misère sociale étouffe à jamais : C’est peut-être. Son adresse à Rimbaud, dont il se plaît à imaginer ce qu’il aurait pu faire s’il avait pu vieillir, aurait pu être signée Prévert pour son dédain du bourgeois. Il est pathétique quand il avoue J’ai peur, émouvant quand il chante le tombeau d’Édith (Piaf) qu’il considérait sans doute comme sa sœur en débine. Il sait évoquer avec humour ce qui avec le tabac l’emportera précocement : le Temps de finir la bouteille.

Leprest, c’est tout ça. Philippe Torreton se met totalement au service de cette parole et nous la délivre avec une attention qui la fait paraître sublimée, dévêtue qu’elle est de ses oripeaux musicaux. Génial bricoleur qui fait son et musique de toute chose, poète de la batterie, Edward Perraud tisse de chanson en chanson un écrin où le texte d’Allain Leprest interprété par Philippe Torreton vient s’inscrire comme s’il avait été fait pour cela. Un spectacle à ne pas manquer. 

Jean-François Picaut


Mec, d’Allain Leprest

Avec : Philippe Torreton (voix), Edward Perraud (batterie, percussions, etc.)

Jazz aux Écluses, 8e édition

Site des Onze-Écluses • Hédé-Bazouges (Ille-et-Vilaine)

Tél. 07 87 99 26 70

http://www.jazzauxecluses.fr/programme

Le 19 septembre 2015 à 20 heures

Durée : 1 h 30

24 € | 20 € | 8 €

À propos de l'auteur

Une réponse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories