« Médée », d’après Apollonios, Euripide, Ovide, Sénèque, Corneille, Jean Anouilh, Heiner Müller, Laurent Gaudé, l’Avant Seine à Colombes

« Médée » © Johann Trompat

Noces tragiques

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

En résidence à L’Avant Seine / Théâtre de Colombes, la compagnie Théâtre DLR² de Pierre‑Marie Baudoin vient de créer « Médée ». Entièrement revisité, le mythe sanglant de cette femme éperdument amoureuse conserve toute sa puissance tragique. Un spectacle remarquable !

Animé par la volonté d’accompagner de nouvelles formes scéniques, L’Avant Seine / Théâtre de Colombes a proposé une résidence de deux ans au Théâtre DLR². Un soutien qui a permis à cette jeune compagnie de poursuivre ses recherches sur la représentation de l’indicible sur scène. Après Fritz Bauer, initiateur des procès dits « d’Auschwitz » où comparurent des gardiens de camp (spectacle sélectionné au festival Impatience 2013), et avant Jimmy Savile, icône de la télévision britannique qui a fait les choux gras de la presse suite à des révélations sur son passé de pédophile, Pierre‑Marie Baudoin s’est intéressé à une grande figure de « monstre », celle de Médée, femme poussée au crime par sa passion brûlante.

Nombreux sont les auteurs et cinéastes à s’être penchés sur son cas (elle est fratricide, régicide, infanticide). Pierre‑Marie Baudoin a puisé ses sources dans cette riche production dramatique, mais également dans l’actualité et les médias, car il est attaché à un théâtre documentaire. Excitantes variations du mythe. Et cela n’est pas seulement dû aux images de mères coupables (à leur procès), voire de réfrigérateurs ! Cette adaptation inédite est d’une grande force, parce que ce personnage, synthèse de toutes les Médée qui ont traversé les siècles, est aussi très contemporain. Surtout, à chacune de ses représentations, Médée rejoue encore son histoire. Sous nos yeux, mais pas seulement…

Sous l’œil des caméras

Dans cette adaptation, Médée est en effet enfermée dans le théâtre. Coincée entre ses murs, contrainte à jouer éternellement son propre rôle, comme pour expier son forfait, elle semble condamnée à ne jamais oublier la tragédie de sa vie. Le théâtre, c’est encore le seul lieu où Médée peut restituer son histoire. Alors, elle raconte comment, abandonnée par Jason, expulsée de Corinthe, celle qui a tué ses parents pour suivre son amour a dû subir la douleur d’un exil affectif et social. Elle représente à nouveau devant nous sa vengeance : le meurtre de ses enfants. Nous laissant juges de sa culpabilité, elle explore ce refuge devenu prison. Des projections vidéo ponctuent la narration. Grâce à des caméras de surveillance, on y voit Médée, solitaire, se préparer dans les loges et déambuler dans tout le théâtre.

Mais, de son anéantissement, elle tire la force surhumaine de se révolter. Sur scène, grâce à la puissance magique des mots et des gestes, Médée transforme sa répudiation en noces tragiques : elle se reconstruit devant nos yeux, accouche d’elle-même jusqu’à se changer en sombre divinité, une déesse de la race des femmes. Et Médée devient presque familière.

Mise en abyme

Le Théâtre DLR² inclut les spectateurs dans un dispositif scénique adapté. Ici, la scénographie dévoile les processus de création à l’œuvre. La résidence a justement permis à Pierre‑Marie Baudoin d’exploiter le moindre recoin du théâtre. Dès lors, non seulement Médée hante littéralement le lieu, mais elle est en représentation. Cet artifice n’est pas dissimulé. Au contraire, il est aussi important que la fable. La mise en scène laisse apparaître le travail de l’actrice qui joue le personnage, utilisant tous les outils qui l’entourent pour nous convoquer à la (re) mise en scène de son acte. Avec la vidéo, le public, voyeur, l’épie jusque dans les coulisses. Ainsi, l’assistance est complice de cet exercice de simulation. Du coup, l’on comprend mieux les rouages de cette folie dévastatrice.

Adaptation remarquable, mise en scène très réussie, scénographie intelligente, il faut également relever l’interprétation d’Hélène Pierre, qui restitue, tout en nuances, la souffrance et l’exaltation de cette femme. Elle nous tient en haleine de bout en bout, que ce soit à l’image ou sur le plateau, sans jamais en faire des tonnes. Et c’est un des risques avec ce personnage. À mi-chemin entre mythologie et modernité, son ultime cri d’amour résonnera longtemps en nous et… à L’Avant Seine. 

Léna Martinelli


Médée, inspirée des œuvres d’Apollonios, Euripide, Ovide, Sénèque, Corneille, Jean Anouilh, Heiner Müller, Laurent Gaudé

Adaptation : Pierre-Marie Baudoin

Théâtre DLR²

Site : http://tdlr2.fr/

Administration et diffusion : En votre compagnie

oliviertalpaert@envotrecompagnie.fr

06 77 32 50 50

Mise en scène : Pierre-Marie Baudoin

Avec : Hélène Pierre

Et la voix de : Franck Taponard

Musique : Guillaume Médioni

Lumière : Grégoire Delafond

Vidéo : Stéphane Hirlemann

Son : Éric Dupré

Photo : © Johann Trompat

L’Avant Seine / Théâtre de Colombes • parvis des Droits-de-l’Homme • 88, rue Saint‑Denis • 92700 Colombes

Réservations : 01 56 05 00 76

Site du théâtre : www.lavant-seine.com

Courriel de réservation : billetterie@lavant-seine.com

Du 18 novembre au 20 décembre 2014, à 21 h 30

Durée : 1 h 10

19 € | 16 € | 12 €

http://vimeo.com/111101884

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