Médée en partage
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Laurent Fréchuret met en scène « Médée », une terrible histoire d’amour et de vengeance incarnée par Catherine Germain, dont la présence vibrante permet une relation avec le public d’une grande proximité. Du vrai, du grand théâtre populaire, qui s’invente dans le jeu, la musique et les apparitions.
Répudiée ! Exclue ! Bannie ! Médée, éprise de Jason lorsqu’il a débarqué en Colchide pour conquérir la Toison d’or, a tout quitté pour le suivre. Experte en art de la magie, elle a eu recours aux pires stratagèmes pour permettre au héros de triompher de ses épreuves. Afin de la remercier, Jason l’a prise pour épouse et emmenée dans sa fuite. Ils ont fait deux enfants. Mais le conte de fées vire rapidement au drame. Pire ! À la tragédie. En effet, de retour à Corinthe, Jason lui préfère rapidement la fille du roi Créon. S’inspirant de la légende des Argonautes, Euripide raconte alors comment cette magicienne barbare devient une meurtrière sans scrupules et une mère infanticide qui égorge de ses propres mains leurs deux garçons, fruits de cet amour trahi.
Laurent Fréchuret se situe au-delà de la terreur et de la pitié que peut inspirer cette figure inoubliable, inscrite à jamais dans l’imaginaire occidental grâce à la puissance tragique du verbe d’Euripide. Cette histoire l’intéresse bien sûr pour comprendre les ressorts d’une telle destruction, mais il dépasse l’aspect fait-divers que peut revêtir cette tragédie pour davantage s’attacher à la figure mythologique de Médée. Comment cette femme anéantie parvient-elle effectivement, malgré tout, à se reconstruire, et même à se transformer en déesse ? Déjà, s’envolant dans le char du Soleil grâce au roi Égée qui la sauve à son tour, elle s’échappe de la vengeance des Corinthiens par le ciel. La voilà sauve et affranchie du temps humain. Surtout, la cruelle Médée s’inscrit dans l’éternité par la portée de ses actes, ce terrible sacrifice qui la fait basculer du côté des monstres.
Un théâtre de voix et de musique
La mise en scène fait de Médée un hymne formidable au théâtre et à l’acteur. Cet acteur qui fait le vide en lui pour laisser place au personnage, pour provoquer l’apparition théâtrale. En l’occurrence, ici, c’est la comédienne Catherine Germain qui se laisse traverser par Médée, qui accouche de ce monstre. Se métamorphosant sous nos yeux, elle donne corps à la morte-vivante et injecte de l’humanité à la part la plus sombre de son âme. Une mise à nu et à vif qui laisse voir comment se joue cette transformation. Cette performance est d’autant plus exceptionnelle que Catherine Germain est plus connue pour sa recherche autour du masque et du clown (elle est l’interprète de Pénazar et du clown métaphysique Arletti), qu’elle mène depuis vingt ans au sein de la compagnie de François Cervantes. Pour incarner cette déesse de la race des femmes, il fallait bien une artiste de cette trempe. Mais Catherine Germain opère de façon subtile. Sa présence vibrante permet une relation avec le public d’une grande proximité.
Directe, la nouvelle traduction qu’a commandée Laurent Fréchuret à Florence Dupont, ouvre aussi le texte à une mise en scène incarnée. La tragédie perd en poésie, mais gagne en clarté. Davantage accessible au plus grand nombre, cette traduction offre l’occasion de restituer toute sa place à la fonction rituelle des chœurs ainsi qu’à la musique, en faisant apparaître la structure de la pièce avec ses ruptures, ses contrastes, ses rythmes. On oublie souvent qu’Euripide était réputé pour être un grand compositeur. Normal ! Car de ces opéras étranges qu’étaient les tragédies athéniennes, on n’a conservé que le texte. Dans cette mise en scène, la musique est donc très présente. Dans des fosses d’orchestre creusées au milieu du plateau, les compositeurs Takumi Fukushima, Dominique Lentin et Jean‑François Pauvros interprètent d’ailleurs leur partition en direct. Leur présence est essentielle. Ainsi, la violoniste évolue sur le plateau pour accompagner Médée dans ses épreuves. Portant, par sa musique, cette exilée, cette femme répudiée qui cherche sa place, elle apparaît et disparaît avec une grâce infinie, elle vit la situation avec beaucoup d’émotion.
La scénographie contribue aussi grandement à faire de cette tragédie un spectacle total. Stéphanie Mathieu a conçu un décor spectaculaire et Franck Thévenon a créé de très belles lumières qui reflètent bien l’état d’extrêmes débordements dans lequel les personnages sont plongés.
Des choix que l’on n’est guère étonné de trouver dans ce lieu de création où s’inventent des aventures artistiques généreuses, car partagées avec la population. Dans la salle, de nombreux habitants de Sartrouville et des alentours ayant participé au Chantier Œdipe de la saison dernière étaient présents, pour assister à cette fête tragique. Une fête sans pathos ni chichis, sauf pour le chœur interprété par Zobeida, comédienne atypique qui a été de toutes les aventures d’Alfredo Arias. Une tragédie qui n’exclut pas le comique, dont on connaît la puissance dévastatrice. Jean‑Louis Coulloc’h incarne, il est vrai, un Jason pitoyable, grotesque !
Voilà du théâtre populaire de qualité comme on aimerait en voir plus souvent. Cela tombe bien. La tournée prévue permettra à ce spectacle d’être apprécié par le plus grand nombre en Île-de‑France et en province. ¶
Léna Martinelli
Médée, d’Euripide
Traduction : Florence Dupont (nouvelle traduction aux éditions Kimé)
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Avec : Thierry Bosc, Jean‑Louis Coulloc’h, Takumi Fukushima, Catherine Germain, Dominique Lentin, Mireille Mossé, Jean‑François Pauvros, Martin Selze, Zobeida et les enfants du film : Félix Boutet, Mattéo Eustachon
Assistante à la mise en scène, dramaturgie : Renaud Lescuyer
Scénographie : Stéphanie Mathieu, assistée de Clotilde Grelier
Lumière : Franck Thévenon
Son : François Chabrier
Musique : Takumi Fukushima, Dominique Lentin, Jean‑François Pauvros
Costumes : Martha Romero, assistée d’Aude Perennou
Maquillage et coiffure : Françoise Chaumayrac
Regard chorégraphique : Thierry Thieû‑niang
Images : Pierre Grange
Régisseur général : Bruno Arnould
Photos : © Christophe Raynaud de Lage
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-C.D.N. • place Jacques‑Brel • 78500 Sartrouville
Réservations : 01 30 86 77 79 ou resa@theatre-sartrouville.com
Du 6 au 23 octobre 2009 à 21 heures, sauf les jeudis à 19 h 30, relâche les dimanches et le lundi 12 octobre 2009
Navette gratuite aller-retour depuis Paris-Charles-de‑Gaulle | Étoile (réservation indispensable)
Durée : 2 h 15
20 € | 14 € | 8 €
Tournée
- le 5 novembre 2009, Théâtre des 4‑Saisons, Gradignan
- le 7 novembre 2009, le Prisme, Élancourt
- le 9 novembre 2009, Théâtre de Poissy
- les 12 et 13 novembre 2009, espace J.‑Legendre, Compiègne
- les 17 et 18 novembre 2009, Théâtre d’Auxerre
- le 21 novembre 2009, Théâtre Paul‑Éluard, Choisy‑le‑Roi
- les 24 et 25 novembre 2009, Théâtre de Bourg‑en‑Bresse
- le 28 novembre 2009, Théâtre Jean‑Arp, Clamart
- du 1er au 5 décembre 2009, Théâtre Dijon-Bourgogne-C.D.N.
- du 8 au 11 décembre 2009, la Criée, Marseille
- du 15 au 17 décembre 2009, Nouveau Théâtre-C.D.N. de Besançon et de Franche‑Comté