Caravage, autoportrait d’une racaille
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Quelle plus séduisante figure que le peintre Caravage pour qui veut traiter le thème de l’artiste maudit ? Thème peut-être stéréotypé, mais incarné ici avec fougue par Cesare Capitani.
Caravage est mort il y a exactement 400 ans dans des circonstances obscures : son corps sans vie fut retrouvé sur une plage déserte alors qu’il n’avait que 39 ans. Cesare Capitani, passionné depuis longtemps par Caravage, l’incarne donc, et raconte à la première personne sa vie mouvementée. Grâce au beau texte écrit par Capitani lui-même, l’homme séduit tout de suite par sa verve, par l’intensité tantôt douloureuse, tantôt légèrement amusée avec laquelle il se décrit lui‑même.
C’est que Capitani fait un superbe Caravage, qui transpire la sensualité autant que l’intelligence. Son visage sculptural à la peau mate est encadré de boucles noir de jais. Avec sa barbe de trois jours, sa poitrine laissée en partie visible par une vieille chemise à jabot blanche au col ouvert, il a ce qui s’appelle le physique de l’emploi. Mais, rapidement, le voilà qui se lance dans le récit de sa vie. Comment, de son obscur village de Lombardie, il s’en est allé en apprentissage chez un peintre à Bergame, puis à Rome, « la ville des artistes », avec à chaque fois des rencontres, de la femme du boulanger à Mario, l’amant fidèle, en passant par les cardinaux et inquisiteurs qui lui menèrent la vie dure.
Comme Caravage se jette à corps perdu dans la vie, Capitani se met tout entier dans son rôle. Cette ferveur est belle à voir et à entendre, car, à travers lui, c’est bien un peu de cette passion qui touche le spectateur. Avec ses thèmes de prédilection toujours placés sous le signe de la souffrance (martyrs, supplices et autres décollations), le personnage semble pourtant porter en étendard son inaptitude au bonheur. Oui, mais avec le malheur en servitude volontaire, car le peintre ne veut pas d’une vie facile. Les compromis, les protections, très peu pour lui. Capitani offre là une belle création d’un personnage d’idéaliste tourmenté, mais finalement toujours porté par un souffle vital.
Une autre réussite réside dans la façon dont la pièce parvient à imbriquer la vie et l’œuvre du Caravage. Elle évite d’être trop démonstrative et, par petite touches, fait naître l’univers de l’artiste. On voit bien, par exemple, comment les relations entre Caravage et ses jeunes amants se retrouvent dans le traitement de tel archange, tel martyr. On a l’impression d’entrevoir le processus créatif, ce qui n’est pas rien.
Il est donc dommage que quelques aspects moins réussis viennent pour ainsi dire obscurcir le tableau. À quoi servent ces sortes de sifflements qui plombent le début de la pièce et reviennent ensuite à divers moments ? C’est un peu ridicule : on croirait cette langue des serpents utilisée dans les films d’Harry Potter. De même, les parties chantées en général n’apportent pas l’émotion que l’annonce des noms de Monteverdi et Caccini laissait présumer. Finalement, c’est l’ensemble de ce « hors-texte » qui ne convainc pas, dans la mise en scène comme dans l’interprétation. En revanche, les lumières créées par Bernard Martinelli suscitent des atmosphères crépusculaires – ce fameux clair-obscur particulier à Caravage – qui, comme dans les tableaux du maître, sont à la fois spectaculaires et intimes. La dernière scène, qui a servi pour la superbe photo de l’affiche signée Béatrice Cruveiller, est d’ailleurs directement inspirée du tableau David tenant la tête de Goliath. Cette dernière scène achevée, Capitani a les yeux tout embués. Inutile de préciser que ce détail-là ne figure dans aucune source connue. ¶
Céline Doukhan
Moi, Caravage, de Cesare Capitani, d’après le roman la Course à l’abîme de Dominique Fernandez (éditions Grasset)
Collectif Hic et nunc / Comme il vous plaira • 117, rue de Charenton • 75012 Paris
Mise en scène : Stanislas Grassian
Avec : Cesare Capitani, Martine Midoux
Chant (C. Monteverdi et G. Caccini) et mélodies originales : Martine Midoux
Costumes et éléments scéniques : Évelyne Guillin et Jacques Courtes
Photographe : Béatrice Cruveiller
Diffusion : Sophie Lagrange
01 43 43 55 58 | 06 60 06 55 58
Théâtre des Amants • 1, place du Grand‑Paradis • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 86 10 68
Du 18 au 31 juillet 2010 à 11 heures
Durée : 1 h 15
15 € | 10 € | 5 €
Reprise
Le Lucernaire à Paris
01 45 44 57 34
Du 11 janvier au 12 mars 2017
Du mardi au samedi à 18 h 30 et le dimanche à 16 heures